Pierre Perrin  article sur Jean Pérol Ruines-Mères, po!èmes, L"e Cherche Midi éditeur, 1998

Jean Pérol, Ruines-mères,
Le Cherche midi, 1998

Chaque nouveau recueil (le quinzième ici) de Jean Pérol, qui est tout sauf le poète ronron d’un thème et d’une manière, explose un peu plus entre les mains. À la hargne et à la rage contre les injustices à l’échelle planétaire est venue, depuis dix ans déjà, s’ajouter la haine à l’occasion retournée contre soi : « ma haine que je hais à chaque soir je la cloue / comme un christ lugubre et fou ». Les amateurs de poésie à la régulière, pour ne pas dire à l’antique, de tant de tics fardée, retrouvent chez Pérol une scansion presque d’enfer, d’autant plus libre qu’il la conduit d’une main de maître à la crête de ses obsessions ; celles-ci débordent le social plus haut évoqué pour célébrer l’amour de l’homme et de la femme, sans œillères, face à face, tous deux nus, ainsi que, sur un autre versant à moins que ce ne soit le même vu sous un autre angle, la solitude et une approche encore plus nue de la mort.

Une lecture hâtive, du bout des cils, comme la pratique à bon escient la critique journalistique, pour peu qu’elle suffise à l’endosmose, pourrait faire accroire que Jean Pérol instille une plainte enragée qui, malgré des vers à haute teneur de poésie, resterait trop intelligente, parce que sans cesse le poète, qui réfléchit, qui fait le tour de la question, secoue et retourne la pensée qu’il a de son émotion. Ce tournis ou ce piétinement, qui le relie à Homère par-delà les quatre pages de son “tam-tam à Congo-square” par exemple, offrirait pourtant une intuition assez juste, tellement écrire pour Jean Pérol équivaut à faire l’amour à la langue et jouir au terme d’un véhément corps à corps, dans toutes les positions, dépositions et autres interpositions, où l’on sent – car cette intelligence s’enracine aussi dans la sensation, même si ce n’est pas sa vertu première – le génie peut-être à l’œuvre.

Je ne suis pas ce que je suis
et suis pourtant ce que ne suis pas
une grande mer en moi s’endort
que les hommes ont laissé taire…

Ou bien, si l’on préfère : « j’ai dit    et ce fut vrai    mais en vrai n’existe pas / […] / mais je l’ai dit    et l’ayant dit l’amour est vrai / même si le dément le non-amour plus évident ». On le voit : percherons de l’esprit s’abstenir, encore que cette intelligence à l’œuvre ne soit pas l’essentiel. Car dans ce recueil protéiforme et néanmoins d’une grande unité, l’emporte une sorte de basse continue qui fait se rejoindre, comme à l’extrémité d’une rose trémière partout présente, la solitude et la mort. Ces deux derniers thèmes en effet envahissent tous les autres et confèrent à la voix de Jean Pérol un grain de gravité, qu’elle avait déjà, mais qui, semble-t-il, va plus loin désormais, jusqu’au mythe à qui le titre renvoie, et qui ressuscite un Dieu. « Dieu nous parvient    il faut courage pour le dire / par des larmes qui exigent autre courage d’un aveu » ; presque en même temps, deux pages plus avant, le doute prévaut : « mais peut-être n’est-il qu’un seul nom maladroit / pour nommer ce qui veille […] / la douleur    la grandeur    en deux mains enlacées ». La quatrième et dernière partie du recueil, dédiée à Kawabata, lève jusqu’au ciel l’adieu.

Le grand Gracq a noté naguère qu’il devait passer quelque chose des saisons de la vie dans une œuvre ; dans celle de Pérol, aux approches d’un couchant qu’on espère long encore à venir, la splendeur culmine :

et ta fin se fait soleil
d’écume rose et de soir bas.


Pierre Perrin, Poésie1/Vagabondages, n° 14, Juin 1998

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