Pierre Perrin  article sur Jean Pérol La Djouille, roman, La Différence, 2014

Jean Pérol, La Djouille,
La Différence, 2014

Ce troisième roman de Jean Pérol, qui fait suite à Un été mémorable, Gallimard, 1998 et Le Soleil se couche à Nippori, La Différence, 2007, clôt une magnifique trilogie. Des trois, c’est le plus bref. Il met en scène — on passe habilement de l’une à l’autre — deux histoires qui se succèdent dans le temps. La première remonte aux années quatre-vingt, la seconde avoisine les 2010. La première se situe en Afghanistan, au temps de l’occupation soviétique. Elle est une histoire d’amour d’un homme mûr avec une secrétaire d’Ambassade plus jeune que lui. Elle marie le cœur et les muscles. La seconde rejoint aussi le même pays où un “ petit Sorel”, qui a donné la main au vieux Français venu vieillir dans sa région d’origine, au Sud, amoureux dépité, fait la guerre pour la France dans l’Otan et finit par sauter sur une mine.

La djouille, qui donne son titre au livre, est un mot afghan qui signifie le caniveau. Il est à prendre au sens métaphorique. C’est en effet l’emblème de notre société occidentale aujourd’hui, l’emblème aussi des fins d’amour, de l’homme rendu à sa solitude et, plus encore, l’emblème de la classe populaire. Emblème dans le caniveau…

Roman politique, en effet, que La Djouille. Pérol y narre la rage de tous ceux qui sont nés sans fortune et comment ceux-là qui ont réussi le Quai comme on se brosse les dents méprisent tout ce qui ne leur ressemble pas. Les mondes se croisent mais ne se comprennent pas. C’est irrémédiable.

Le style de Pérol, avec son sens du rythme, ses images puissantes, ajoute au plaisir de la lecture. On ne peut qu’être d’accord avec son regard sur nos déchéances sociales, politiques, culturelles. Les exprimer avec cette force est assez rare, puisqu’il ne faut rien dire et que surtout nul ne lit ni n’écoute plus personne. C’est donc un roman de résistance. Et il est là pour longtemps.

Pierre Perrin, Pour la Toile, 5 novembre 2014


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