de Jean Pérol À part et passager [la Différence, 2004]

Jean Pérol, À part et passager
éditions de la Différence, 2004

Toute armée d’occupation sécrète son terrorisme et exécute, pour son propre compte, des attentats ciblés. Nous le voyons chaque jour. Et nous entendons chaque jour combien l’imbécillité fait la courte échelle à la perversion. Les magiciens de la haine féconde ont beau jeu d’ignorer Adorno. Son mot fume encore et Pérol le reprend en aparté, courageusement. Il écrit, sur le point de clore ce beau recueil : « La poésie n’est pas hantée par la beauté / mais par le mystère de son massacre. » Et encore ce mystère est-il aussitôt cerné par Pérol : c’est la violence dont « les haineux de la vie ne se lassent jamais ». La culture, au champ désormais sans borne et tellement inculte que nos beaux esprits, parlant de l’art, précisent cultivée [Des racines et des ailes à Lille, 14 avril], n’a jamais offert que des ravissements. Les rapts sont d’un autre ordre. Les camps hitlériens n’ont pas cessé sous Staline. Et ceux-là même qui en ont réchappé remploient le même mot pour la Palestine. Mais ce sujet brûlant n’est qu’une pépite du recueil de Jean Pérol.

Cinq autres parties, chacune plus nourrie, composent en effet À part et passager. C’est le quinzième recueil de ce poète insoumis, né en 1932 près de Lyon, venu d’Un puissant été mémorable, roman (chez Gallimard) d’enfant du peuple dans la guerre. Pérol, c’est d’abord un rythme sans pareil, sans faille, sans illusion non plus. C’est le mot juste en rafale, la forme et la formule, donc la perfection à bout portant. Outre la haine, déjà épinglée, la bêtise, sa voisine, est cinglée. « Époque, écrit Pérol, exposant le Q.I. de son cul… » Le nouvel Icare fait un nouveau Q.I.-Q.I. C’est dans la logique absolue du progrès que Pérol corrige ainsi : « Les joyeux parlent comme des ânes / les tristes se trompent tout le temps. »

À côté de coups de patte amplement mérités par ces écervelés que nous sommes (jusque dans l’isoloir), Pérol chante la femme et son plaisir, ce qu’elle donne en s’effaçant, ce qu’elle efface en se donnant, et combien elle nous abîme parfois avec le leurre de la complétude. La poésie amoureuse de Pérol a toujours l’accent de la vérité. Il émane d’elle une émotion et une réflexion à la fois, ce qui est le propre de la poésie. Cette émotion crépusculaire désormais rejoint parfois Villon, dans la simplicité. Ainsi, ces deux vers qui disent ce que disent tous les humains de tous les siècles : « Adieu à tous – adieu – et pas de mots amers / priant pour que de moi au moins un se souvienne. » Ce recueil est donc à conserver afin de le méditer sans fin et sans aucune restriction.


Pierre Perrin, Poésie 1/Vagabondages n° 38 [juin 2004]


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