Marcel Aymé, Écrits sur la politique (1933-1967)

Marcel Aymé, Écrits sur la politique
(1933-1967), Les Belles Lettres/Archimbaud, 336 pages, 20 €

Les calotins le vouaient au diable. Il ne portait pas de calotte. Ses volées de bois vert, à droite comme à gauche, ont épaissi les œillères. C’était un sain – sans la croix finale pour cet adjectif. Marcel Aymé : un collabo pour qui n’a lu que ses contes ! Michel Lécureur, l’éditeur de ses Œuvres romanesques dans la Pléiade, a rassemblé les pièces du dossier. Articles, préfaces, propos rapportés, tout fait mouche. Mais il faut lire. Les détracteurs préfèrent le vent. C’est le combustible des baudruches. Ces écrits politiques devraient les clouer au sol.

La décadence, en France, commence en 1870. La lecture que fait Marcel Aymé de l’Affaire Dreyfus n’est pas celle d’un aboyeur. L’intellectuel aveuglé par son clairon – alors rembouché en 14, note-t-il, l’honneur a ses tranchées – le révulse. A-t-il été l’ami de Céline pour autre chose ? Oui, il admirait son style. C’est rare dans la confrérie. Pour ce qui concerne Dreyfus, les régimes traditionnels, à la différence de la Troisième République, garantissaient les Juifs contre la démagogie. Le raisonnement complet renverse l’image d’Épinal, c’est bien le moins qu’on attende sous sa plume.

Car enfin, il condamne le racisme nazi dès le 3 mai 1933. C’est l’année où Hitler accède au poste de chancelier. Aymé signe alors dans un journal de droite : on trouvera mieux comme béni oui oui ! Il pourfend le colonialisme en 1935. Henri Jeanson atteste un article au vitriol contre l’étoile jaune en 1942, censuré. Il fut partisan d’une Algérie algérienne. Les suspicions font ainsi long feu, devant les textes. Mais pourquoi la réhabilitation piétine-t-elle ?

La première raison, c’est le chauvinisme idéologique, celui qui fait hurler avec les loups, sous la conduite d’un berger bon teint. Marcel Aymé est rétif à tous les partisans. Il les crible d’ironie. Les uns ont « des renvois d’histoire sainte », les autres « une carte d’alimentation spirituelle », c’est encore beaucoup. La justice : une assemblée de peaux de lapin ! Il écrit en 1957 que « finalement est élu le candidat qui a su exhiber les filles ayant le plus joli sourire et le cul le mieux tourné ». On ne peut mieux signifier au plus grand nombre ses limites.

La deuxième raison tient à la capacité pour tous de saisir un sens satisfaisant. L’ironie suppose l’érection des neurones ; celle-ci a ses ratés. Parler de « conscience borgne » ne titille pas tous les cyclopes. Méditer la bonne plaisanterie de « Caligula, empereur de très mauvaise réputation, qui conféra la qualité de consul à son cheval favori », c’est franchir le Rubicon.

Pourtant, inféodé à sa seule conscience, Marcel Aymé est dans le vrai. « La liberté de l’écrivain finit là où commencent à s’affirmer certaines susceptibilités politiques. » Michel Lécureur résume parfaitement, au terme de deux pages de préface : Marcel Aymé, c’est « Diogène qui, une chandelle allumée en plein jour, cherchait des hommes dignes de ce nom ». Qui admettrait que, mort, il ne trouvât décidément personne ?

Pierre Perrin, [Pays comtois n° 52, janvier-février 2004]

Lire Marcel Aymé collaborateur ? par Michel Lécureur [in Lettres comtoises n° 8]


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