Pierre Perrin  lit Georges Perros L’Occupation

Georges Perros, L’Occupation, 1996

Ce volume de cent quatre vingt douze pages reprend pour partie des textes épuisés chez de petits éditeurs ; certains sont pourtant parus dans les Papiers collés parmi les trois volumes fameux, chez Gallimard. Tout est bon à prendre qui vient de Perros, tellement sa voix est essentielle et incomparable.

« Il faudrait empêcher de lire ceux qui claironnent que la littérature ne sert à rien. À des riens, oui. J’aurais donné ma chemise, cousue d’or, pour connaître Kafka. » Ou bien « Un corps, c’est comme un livre, c’est inoubliable ou rien. » Et « Pendant que j’écris des corps s’enlacent, des bouches se prêtent serment pour la vie, des ventres s’agacent […] Je regrette de n’avoir pas recherché davantage l’amour simple, la duperie tacite, d’avoir cassé net toute naissante reconnaissance par une exigence qui prenait aussitôt des allures de piège. […] Ce manque de corps, de chaleur à mes côtés, me rendrait fou si chaque instant ne venait contredire le précédent et détruire inlassablement ces dunes de sable sans consistance. »

Les “notes d’enfance” présentent avec une tendre auto-dérision la découverte de soi-même et de l’autre. « Amour, abolition de tout passé, de tout avenir, pénétration en vrille dans un inespéré no man’s land. Meurtre fantastique de soi-même, suicide souriant. Découverte d’une terre nouvelle, du corps humain. Résurrection du toucher, de l’odorat. Éblouissement du contact de deux nudités étrangères, qui se rencontrent, qui se reconnaissent, et vont se battre, s’étrangler, se mordre, s’exténuer, se tuer de bonheur. » Il faut lire la page de la panne sexuelle. « Je fais tout vite. […] Cela m’a valu quelques succès sur les stades. […] Dans les choses de l’amour, cette rapidité fut loin de me valoir le même plaisir. […] Je vous laisse à penser la mine qu’on peut présenter au plafond chargé de visages railleurs lorsque vous délaisse la duettiste, vous rejette comme manuscrit prometteur, mais qui tourne à l’insignifiance après les premières pages. »

Confronté plus que d’autres – parce qu’incapable de se mentir à soi-même, et par une étrange alliance ami de Butor – aux bruits de bottes littéraires de la Nouveauté en tous genres, Perros a su garder le cap, comme Réda, en écrivant pour vivre. En bon paradoxe, c’est dans la mort qu’il a peut-être atteint son idéal. « L’art n’est pas un moyen de passer le temps. » Ce contre-pied pris d’Aragon dit assez la véracité de cette œuvre et combien elle respire la santé. Il fallait le temps que cela se sache. Écoutez cette voix : « Comme ils ont raison ceux qui nient l’inspiration. Il suffit de les lire. »


Pierre Perrin, La Bartavelle n° 4, “Les Amours” — Avril 1996


Page précédente — Imprimer cette page — Page suivante