Jacques Réda, Leçons de l’arbre et du vent
éditions Gallimard, 2023, 144 pages, 16 €
« Nous ne voyons pas ce qui naît sous nos yeux. » Avec ce quatre-vingtième ouvrage de l’auteur, l’œuvre s’éprouve pleine, accomplie, quoique sans fin, car comme dans l’arbre toujours des rameaux ne cessent de se profiler. « N’être pas un arbre a toujours été, de mes regrets, / Le plus constant. » Ainsi commence le trentième poème de ce recueil qui en offre soixante-deux. Le titre constitue en soi une douceur, une invitation. Il n’est en effet plus douce leçon à suivre, entre botanique et poésie, discret lyrisme et cosmologie, d’autant que le maître a disposé dans ses vers de quoi ensorceler force lecteurs. À l’origine, voilà plus de trois-quatre mille ans, la rime affichait une raison d’être mnémotechnique. Avec sa manie de la table rase, le XXe siècle l’a répudiée pour le poème. La publicité l’a conservée, pleine et entière, pour son efficacité. « Le vin d’Arbois, plus on en boit, plus on va droit. » Réda, qui apprécie la boisson, prend ses distances avec la modernité. L’art importe, que tue l’esbroufe. L’alexandrin reste son pendule, qu’il garde libre, comme il conserve la ponctuation et la majuscule en début de Vers. En outre, il suspend notre oreille à l’attente de la rime, souvent riche et, chez lui, renchérit l’humour. Par exemple : « Il largue son amarre – / Disons qu’il en a marre. » L’humour en effet parcourt le recueil. « Le monde va, / Assez étourdiment, dirait-on, à sa perte. » Ou bien, dans le même poème : « Nos robots / Plus imaginatifs que vingt Schéhérazades. » Ou dans le poème suivant : « L’algèbre a sur mon cerveau l’effet d’une asphyxie. » Ou ailleurs encore : « Un texte lumineux mais trop éblouissant / Et pure métaphore obscure de lui-même. » Bougon, dit-on, mais humoriste de haut bord, Réda joue de la balançoire avec la beauté qu’il ne cesse de créer. L’Arbre est, bien entendu, lui-même jouet du vent auquel il résiste, un symbole. « Mon feuillage, écrit Réda, ce sont les vers que j’ai signés. » Le poète se transporte sans cesse, et plein de grâce, de l’Empire des morts à l’Infini céleste, du trou noir aux galaxies, tout en plaisantant avec chaque espèce, ornementale, utile ou nécessaire. Le recueil n’apparaît pas touffu. Sa richesse est de bon aloi.
Symbole de l’humain, avec le squelette, les artères, le réseau nerveux, l’arbre va bien au-delà. « Le mystère a cessé pour lui d’être sacré. » Il incarne, si on peut dire, notre espèce humaine. La bravache, l’irrespect, l’ignominie sont monnaies courantes. « Un poème est un arbre de mots. » Puis : « Poème, Arbre, on ne sait s’il loue ou s’il implore / Un écho du fracas muet de l’univers. »
Le vent prend ici une place égale à celle de l’arbre. Facétieux peut-être, il a emporté la suite de ma note qui lui était consacrée. Nul doute que le lecteur curieux en retrouve le souffle sur sa peau. [Réda, lui, est mort ce 30 septembre 2024, à 95 ans]
Pierre Perrin, Possibles n 33, septembre 2024