Yves
Martin, hommage au poète disparu
Table ronde à la bibliothèque
municipale de Lyon, le 9 mars 2004,
à linitiative de Jean-Yves Debreuille
et François Montmaneix,
avec Dominique Joubert, Pierre
Perrin et Bertrand Tavernier
Yves Martin explique, dans lentretien pour le numéro spécial que je lui ai consacré [revue Possibles n° 18-19, 160 pages, juin 1979] être venu « à la poésie, au poème vers lâge de 16 ans ». Il commence par Prévert, bute sur Apollinaire et Max Jacob. Rilke est sa « grande passion ». À noter quil ajoute : « Jamais je noserai le relire. » On pense à Perros ironisant sur le fait de se détourner de toutes les femmes de peur de tromper la sienne ! Mais le trait ne vaut que pour cette idolâtrie de Rilke, car Martin a lu beaucoup, avec une jubilation toute particulière pour les poètes mineurs. Sa perception de la poésie est de lordre du sacré, mais profane. Aux anges, il préfère le chaperon rouge Il tient le poète pour « un affairiste du subconscient, puis le documentaliste du même subconscient ». Ce quYves Martin place à son sommet, cest la « transcendance de sa propre mémoire ». Pourtant, chez lui, la transcendance est un leurre. Il la refuse. Son univers est donc sans issue.
Dans le portrait que je lui avais alors consacré pour ce même numéro, javais fait valoir un parallélisme avec Cesare Pavèse. Vingt-cinq ans sont passés. Le suicide accompli ne confirme-t-il pas lintuition, suggérée par la lecture du poème qui commence ainsi : « Navons-nous pas souffert le même malheur / En des villes parallèles, par des rues peu dissociables » ? Cette même misère sous la ceinture nest assurément quun épiphénomène, en aucun cas un tout. Mais elle a nourri le poète, en le tuant à petit feu. « Il ne sait à quel brûle-gueule se vouer / Du chancre des petites alliées / Ou du poème soûl. » Le Marcheur, en effet, cest le péripatéticien dabord. Cette uvre chasse limpossible prise quest lamour. Limpossible y est traité sous tous ses angles et sur tous les tons. Lhumour y est au large. « Il fait un froid structuraliste. »
Poète de la ville, piéton de Paris comme il se plaisait à le dire, à côté de Réda, son rival plus ambitieux, Yves Martin offre ceci de particulier que son imaginaire est avant tout campagnard. On trouve sans peine dans le même quatrain les sex shops mitrés et les regains. Ses images, comparaisons et métaphores, ne laissent aucun doute sur ce sujet. La mémoire enfantine tient en outre une part importante dans luvre. « Tant darbres cachaient un amour nouveau. » Elle incarne le possible, contre le barrage de limpossible que chaque nouveau jour élève jusquau vertige. Celle-ci légitime la quête de ladulte. Ce poème, page 99 de Je fais bouillir mon vin [éditions Le Pont de lÉpée, Guy Chambelland, 1978] ne latteste-t-il pas ?
Pourquoi trembles-tu ? Ce nest pas de froid.
On
se protège contre le froid. On construit.
On trouve une femme à lhuile féconde,
au mors souple.
On a des amis même sils
napportent pas un mot.
Regretterais-tu (ça tapprendra à mal
répondre)
La laisse du chien, la cave à charbon,
Cet hôtel de la rue de lAnnonciation
Où
tu te réveillais après les gros chagrins
magnifiques
Dans une nuée de fruits, décailles.
On ta trahi alors, mais sur quelle échelle.
On ta chassé, tu ne revenais jamais les mains
vides.
Tout plutôt que cette chair
Qui ne veut pas donner
son visage,
Ne tattire pas, vers laquelle
Pourtant tu
tavances.
Toute sa poésie peut se lire de la façon suivante. Lhomme est en proie à la réalité. Cest le quotidien, souvent morne, la désillusion, la frustration parfois. Q’'est-ce qui nous meut ? Le désir, mille désirs. Ces désirs, pour Yves Martin, sont le plus souvent contrariés, mal réalisés, voire irréalisables. Ce sur quoi il bute le renvoie à sa propre réalité, qui est nourrie de toutes les plaies et bosses de l’enfance. Les souvenirs terribles sont innombrables, le grandpère qui noie les chats, la soupe quon lui faisait ingurgiter brûlante, tant dautres se pressent à sa mémoire, à côté de parfaites réussites sentimentales, de vrais plaisirs gustatifs. Le réel, quand il se révèle un mur, brise donc le désir qui ressuscite aussitôt le souvenir. Le cercle est infernal. Lhumour dYves Martin le contient.
Pierre Perrin, notes pour un premier hommage in memoriam Citations complémentaires