M. Williams d’Yves Martin, éditions Le Pont de l’Épée, 1985

Yves Martin, M. Williams
éditions Le Pont de l’Épée, 1985

Ce huitième ouvrage d’Yves Martin, en poésie, confirme le génie de son auteur. Le mot est fort, mais je ne fais que reprendre le trait généreux de Raphaël Sorin, dans Le Monde du 25 novembre 1983. Yves Martin, né en 1936, a publié aussi des nouvelles, peut-être moins convaincantes, et divers textes en prose. Ici, Martin renoue avec le poème long de ses débuts. Le recueil en compte une dizaine avoisinant peu ou prou la douzaine de pages. À côté de ces poèmes au long cours, volontiers narratifs, on trouve ici et là quelques poèmes de révolte. Cette veine-là avait suscité l’enthousiasme pour le Marcheur, le recueil de 1972 [depuis réédité à la Table Ronde, dans la petite Vermillon].

L’univers d’Yves Martin, c’est celui d’un récent chômeur involontaire. Il hante les bistrots et les cinés, poursuit les trop jeunes filles et se confie aux ‘professionnelles’ pour les urgences. Il change de trottoir, mais pas sa solitude. Pourtant il renoue en esprit avec ses père, mère, amis, la mort et le chaperon rouge. Tout le passé et l’onirisme du bonhomme forment une vapeur d’alambic sous les yeux. Martin jargonne. Il tonne, il jure et, tout à la fois, caresse son vieux cartable d’écolier qui lui scie encore les épaules.

La patte de poète et son humour brassent l’impossible à demi rêvé et le quotidien le plus misérable. Mais ce mélange étonnant bascule sans cesse dans le fantastique. L’opération reste maîtrisée, l’extraordinaire naturel. Martin réussit à mettre en lumière force contradictions. Cette poésie qu’on dirait glisser entre deux vins dévoile une lucidité sans faille. La bascule est le propre de l’image, tout particulièrment de l’oxymore. Martin crée, comme il dit, sa “voltigeante nostalgie”. L’humour enfin tempère l’angoisse qui le porte : « La glace ne rend pas toujours les têtes. »

Peut-être bien qu’Yves Martin, c’est Dürer au vingtième siècle, c’est-à-dire la douce dérision au carré, dans le portrait qu’il donne de lui-même. Oublions que l’art devrait être à la casse, et gardons la tendresse. « Piéton de Paris, fichtre ! / J’ai la patte vissée, le muffle roide, / le calot pas très guilledou, / De ceux que le coyotte dépasse / Avec un humour particulier. » Ce volume n’est sans doute pas le meilleur de ce poète dont l’orgue de barbarie peut lasser. Pour autant, ignorer cette œuvre serait faire preuve de stupidité poétique. Il n’y a que les robots, Martin dirait les structuralistes, pour se satisfaire de leurs œillères.

Pierre Perrin, Poésie 1 n° 128, décembre 1985


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