Entre les lignes de Michel Baglin [La Table Ronde]

Michel Baglin, Entre les lignes
La Table ronde, 2002

Voilà un petit livre parmi les plus charmants. Le titre déjà faufile son mystère. À l’évidence, le double sens fait se croiser le destin et la couleur de l’encre. La mémoire ouvre l’avenir. Non seulement ce titre, aérien autant que terrestre, condense le départ et l’arrivée, mais l’ouvrage entier participe pleinement de la métaphysique, car les livres comme les trains proposent « de longs saluts aux sédentaires ». Ces derniers, que nous croyons incarner, partent aussi. La différence est que ceux qui conduisent les machines, un jour, ne reviennent plus. Les livres sont nos voies que d’autres empruntent par moments – nul ne sait jamais où ni jusqu’à quand. L’obsolescence est tout notre avenir.

C’est toutefois un des charmes de ce livre de modeste dimension que de ne pas peser. Non pas que Michel Baglin cultive trop modérément la mélancolie, mais il tempère jusqu’à sa foi dans ce qu’il appelle « ses petites écritures ». Cette modestie foncière est une garantie d’honnêteté. On en prendra d’autant plus la mesure que le poète des Mains nues [l’Âge d’homme, prix Max-Pol Fouchet 1988] et de l’Obscur Vertige des vivants [le Dé bleu, 1994] ne propose rien moins que de revisiter sa jeunesse. Mais le pas est vif ; l’auteur ne se berce d’aucun passéisme ; au contraire, les anecdotes rapportées sont aussitôt transcendées. Ainsi celle, très belle, de la « place sous la neige » illustre-t-elle à ses propres yeux un « improbable Graal du voyage immobile ».

C’est ainsi que le fruit de l’expérience, sous le couvert d’un bref tournage dans le wagon des premières classes, témoigne d’une très ancienne et toujours vivace acuité sur la nature humaine. Voilà un petit livre propre, net, et qui remplit le lecteur d’un sentiment peu fréquent : la gratitude.

Pierre Perrin, Autre Sud n° 19, décembre 2002

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