Marie-Claire Bancquart, la Paix saignée, Obsidiane, 1999

Marie-Claire Banquart, La Paix saignée précédé de Contrées du corps natal, éditions Obsidiane, 1999.

Avec ce quinzième recueil d’environ 115 pages, Marie-Claire Bancquart accède à un nouveau « pli du temps ». Elle explore, sans se détourner du présent qui la requiert ou la retient, les origines des villages et des familles qui l’ont mise au monde. Elle écrit leur histoire et, à travers elles qu’elle fait converger, elle élève quelques fragments de son être dans la lumière. C’est assez dire qu’elle n’est pas absente de son poème, écrit au reste souvent à la première personne. Cependant elle tient à distance son sujet, presque continûment telle une tendre gageure. De précédents commentateurs ont ainsi parlé, pour définir sa poésie, de « délices intellectuelles » [Sabatier] ou d’une « métaphysique de l’image » [Orizet]. Le fait est que cette voix est singulière. Elle mérite l’affection qu’elle implore dans une discrétion sans bornes. Tout ce qu’elle écrit est pesé, pensé, maîtrisé. On conçoit mal le contraire, sauf à perdre son temps. Ce n’est pas cette perfection-là qui peut dérouter. La distance où Marie-Claire Bancquart semble tenir son lecteur participe peut-être de sa syntaxe. Celle-ci, économe sans être exsangue, use peu de la proposition principale. La première, quand on ouvre l’ouvrage, n’apparaît d’ailleurs qu’à la septième phrase. Or cet appauvrissement volontaire de ce qui dans une phrase structure les certitudes ne laisse pas de déranger. Le poète dit, de surcroît presque sans article, en totale nudité :

Solitude, retirement, / quelque chose contre l’imminence. Une telle sécheresse a un sens, outre qu’elle ménage des oasis. Marie-Claire Bancquart en effet écrit à partir d’un constat sous-jacent que la communication est un leurre ou une rareté. Même le cri, que tout poème digne de ce nom devrait donner à entendre sous le ciel, reste une misère. Elle le rend pourtant de mille façons, toutes plus inattendues les unes que les autres. Cela peut conserver cette distance-là : On ne sait pas encore que la terre / tourne éperdument avec nous — ou bien atteindre à l’épopée : Ils frissonnaient. Leur corps brûlait de l’intérieur. Leurs membres, touchés de noir, se séparaient du tronc. L’essentiel est que sa méditation nous retienne. L’avenir de chacun se borne à la mémoire. Le poète sait que celle-ci est « notre temps, / mesuré » et que, s’agissant de Jean Molinet par exemple, « rien ne reste du reste, sauf des berceuses, et une complainte ». La fin de Contrées du corps natal, ce poème fort de plus de trente pages, accède au chant, à la célébration et, sans plus de détour, à l’émotion.

Présente-absente je vous célèbre
au plus bas d’une voix
qui attend d’être prise en murmure, en soupir,
en doigts légèrement mobiles
[…]

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Pierre Perrin, La Nouvelle Revue française n° 557 – Avril 2001

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