Jean Orizet : un héritier de Borges [début]

Un Héritier de Borges
Jean Orizet poète de l’entretemps [I]

« Longtemps j’hésitai sur le sens à donner à cette présentation. Fallait-il d’emblée livrer les clés […] ou en préserver le mystère pour laisser à chacun le soin de trouver dans l’œuvre ce qu’il souhaitait y découvrir ? »
Jean Orizet, L’Épaule du cavalier, Cherche Midi, 1991

n° spécial J. O.

Tout commence par la rencontre avec un autoportrait d’Arcimboldo – plume et lavis – dessiné vers 1575. Il est signé en haut, à gauche, « Joseffi Arcimboldo imago ». Sur l’instant, je m’y étais à peine arrêté ; puis je le regardai mieux. Ce visage allongé aux pommettes saillantes, cette bouche mince, ces sourcils bien dessinés, ces yeux qui fixent un rêve me rappelaient une autre physionomie, mais laquelle ?
J’explorai mes cartons et retrouvai un portrait de moi esquissé, quinze ans plus tôt, par un peintre pragois. Alors j’eus la réponse à ma question. Le visage d’Arcimboldo et le mien étaient si proches que je m’étonnai de ne pas l’avoir remarqué plus tôt. Eussé-je porté barbe et mous-tache, entouré mon cou d’une fraise et coiffé le bonnet des clercs en usage au siècle, la ressemblance entre nous eût été presque parfaite. Au-dessus du tableau, Janula, mon ami tchèque, avait inscrit un de mes vers : « Nous durerons bien plus que notre mort », phrase à la fois simple et sibylline qui prolongeait la vie créative de Giuseppe Arcimboldo. Cette rencontre était bien une
coïncidence significative où le jamais-vu rejoint, dans l’entretemps, le déjà-vu, télescopage du fantasme et de la raison. Une image de cet entretemps – je l’emprunte au vocabulaire maritime – est celle du centre de voilure, « point vélique » où s’applique la résultante des actions du vent sur les voiles du vaisseau. La conjonction de forces réunies en un point de chaque foc, misaine ou perroquet, réalise une poussée idéale pour la marche du bâtiment. De même, la commune présence de la vie et de son contraire, de l’instinct et de la réflexion, de l’hier et de l’aujourd’hui s’exerçant sur un pôle déterminé de ma conscience, rendent possibles ces plongées dont la magie, simple ou subtile, se trouve à portée d’expression.

Ainsi commence La Poussière d’Adam, en 1997. Cette page emblématique de l’œuvre entière de Jean Orizet se trouve placée sous ce signe de l’entretemps ; « placée » est d’ailleurs un verbe bien impropre, trop immobile, pour cette œuvre qui, un livre après l’autre, s’érige en cercles concentriques (ce n’est pas la formule qui est un paradoxe, mais l’œuvre en ce qu’elle est hermaphrodite). Il suffit, pour s’en convaincre, de consulter la bibliographie de Jean Orizet. En 1975, il rassemble sous le titre En soi le chaos, « Poésie 1960-1974 », un fort recueil de 300 pages, l’essentiel de ce qu’a formé la matière de quatre précédents parus de 1966 à 1973, à quoi s’ajoute, dit la note de l’éditeur : « Aventuriers n’a fait l’objet que d’une édition hors commerce […] en 1974. Quelques textes sont extraits d’Errance paru […]en 1962. Enfin, la partie inédite se compose de plusieurs poèmes répartis dans les différents chapitres. » Il est précisé dans le liminaire de cette note que « cet ouvrage comprend de larges extraits » ; en d’autres termes, ce premier volume collectif, comme Char les affectionnait, est déjà plus qu’un choix : une recréation.

Lorsqu’en 1990, Jean Orizet publie le tome II de ses « œuvres anthumes », Poèmes, sous-titrés 1974-1989, il précise en sa « préface en forme d’autoportrait » : « J’ai préféré, cette fois, ne pas donner de titre à l’ensemble. Je présente des poèmes choisis par moi (ce qui n’est pas innocent) et extraits des sept ouvrages publiés entre 1974 et 1987. À cela s’ajoute un certain nombre de poèmes récents, inédits en volume. » Or, parmi les sept ouvrages publiés, l’un est un livre de prose, Histoire de l’Entretemps, paru en 1985 et la vingtaine de pages choisies s’intègrent telles une vingtaine de poèmes en prose, de la façon la plus naturelle.  — Continuer la lecture…

Pierre Perrin, La Bartavelle n° 7, octobre 1997 — repris dans J. O. Le voyageur de l'entretemps, éd. Mélis, 2004


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