Claude Michel Cluny,
Le Retour des émigrés
éditions de la Différence, 2008
Sixième tome qui vient charpenter et réjouir à la fois le journal fabuleux, L’Invention du temps, de Cluny, ce volume couvre les années quatre-vingt et quatre-vingt-un. La politique y fourmille à une sorte de sens propre qu’il convient d’inventer : c’est une activité microscopique, mais voyante, une perpétuelle déjection d’un mépris moins subi que retourné de main de maître en pays de manchots. Giscard et ses sbires, le polygame Mitterand et ses leurres, de pire facture que son cancer, tachent ici et là l’histoire qu’ils croient gouverner. Les larbins ont enfin chassé les patrons ! Même si ne manque pas le rappel que « sauvages, les animaux le sont moins que nous », l’intérêt du livre est ailleurs, pour l’essentiel. C’est la fabrique de L’Été jaune, le grand roman de Cluny, qui se déploie dans ces pages. Chercherait-on à savoir pourquoi un grand auteur écrit, chacun trouvera force réponses ici. C’est pour vivre qu’on broie de l’encre, d’abord, et pour connaître que l’on vit. C’est pour faire durer nos désirs un peu plus que nous-mêmes. C’est pour se donner le luxe et la luxure de la puissance de la parole, portée à l’incandescence chez Cluny. Écrivain, ce dernier croit à l’art, à sa persistance, contre toute vraisemblance — mais il a raison. Ce n’est pas parce que les Sartre, les Sollers, les Robbe et les Grillet, entre autres, ont fait sous eux ce qu’il restait de la pensée française qu’il faut crucifier l’espérance. Reste qu’il est bien délicat de citer un poète latin, et encore moins grec, du troisième siècle après Jésus-Christ. Malgré ces réserves peu roboratives, c’est un plaisir de lire Claude Michel Cluny. Il est de la race des moralistes jouissifs du dix-septième siècle. L’élévation tient de la chute de reins — autant dire qu’elle se confond avec le rien auquel elle conduit, le Ciel de la petite mort excepté. La petite mort, au demeurant, ne laisse jamais Cluny indifférent. Mais il est trop fin et acéré pour ne jamais perdre de vue que le meilleur est toujours dans le partage, que l’amour est dans l’enlacement et l’élancement mêlés. Si un lien peut se réaliser seul, comme l’esprit se garrotter dans la déréliction, la montée vers l’extase exige d’être au moins deux.
« La vérité n’a pas de prix, car personne n’en veut. » Ce livre-phare brille pour les amoureux de la littérature. Leur bonheur non plus n’a pas de prix, car il ne se monnaie pas. L’absolu, Cluny le tient au bout de sa mire, il ne cille pas. On peut regarder longtemps dans la même direction que la sienne et le sourire dominera le monde.
Pierre Perrin, 23 mars 2008 [article non paru en version papier]