Affleurements de Jean-Luc Sarré [Flammarion]

Jean-Luc Sarré, Affleurements
éditions Flammarion, 2000

Ce recueil semble croiser tout ce qu’on aime chez Gérard Noiret et chez Jean-Pierre Georges. Du premier, Jean-Luc Sarré prend ou invente le regard d’arpenteur, sorti pour sortir, sans chaîne, et qui n’en pense pas moins ; du second, dont il semble partager l’ennui chronique, il risque un petit air de dérision qui fait mouche. La réunion de ces deux tendances, qui convergent de surcroît vers un travail soigné de chaque séquence fragile à l’entour de la dizaine de vers, est très plaisante. Le lyrisme est ici cassé, comme on le dit d’une voix. Pourtant l’expression de l’ennui jointe à celle d’une solitude tempérée fait affleurer nombre de bonheurs. Quelquefois vénéneux, ces derniers infusent dans l’esprit du lecteur. Il y a les ragots, la grande famille humaine et l’horreur de lui appartenir, selon Jean-Luc Sarré : Il manque un bruit de pas au silence. Bien que l’auteur se déclare adossé au désert vertical en craignant par ailleurs de passer sa vie en repérage et qu’il récuse toute transcendance, il fait plus que se jouer des contraires. Outre une modestie de bon aloi, il offre une palette d’apories. Il faut descendre au fond de l’apparente désinvolture et croire sur parole cet auteur qui affirme sa manie de débusquer sous son pas des fantômes. Il regarde au plus près le monde et il écrit :

[…] alors je crois au ciel renversé
dans l’assiette sur le balcon, je trouve mon salut
dans la blancheur ébréchée d’une porcelaine au rabais.

Voilà une profession de foi conforme à l’envers du monde que ces pages tantôt célèbrent, tantôt dénoncent sans desserrer les dents. Elle se situe presque naturellement dans la continuité du Meursault de l’Étranger, puis du Parti pris des choses de celui qui notait ‘justement’ : « L’Homme nouveau n’aura cure (au sens du souci heideggerrien) du problème ontologique ou métaphysique — qu’il le veuille ou non primordial encore chez Camus. » Le même Ponge s’agitait sur sa chaise de pousser son raisonnement jusqu’à ce point où l’Homme ne vibrerait plus. Jean-Luc Sarré poursuit une voie moins radicale. Il indique en effet, au détour d’un poème dont la rigueur n’offre rien de cadavérique :

je demeure sourd à la raison bavarde, j’attends
de ce que je vois une leçon de respiration.

Ce poète subtil au tissu de langage constamment inventif cultive une sorte de proche distance que le temps accentue, de sorte que ses affleurements, où l’homme essaie parfois de conjoindre les bords de l’existence, méritent l’attention que chacun accorde à la beauté.

Pierre Perrin, Poésie1/Vagabondages n° 25, mars 2001

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