Grand Jeu de Geroges Sédir

Georges Sédir, Grand Jeu
Maison de la poésie, 1999

Constitué de quatre parties si bien croissantes que la dernière, “Au-delà”, accueille 22 poèmes contre 11 pour “Ici-bas”, la première, ce volume d’une centaine de pages nous entraîne hors du chaos qui nous entoure, non sans explorer d’abord celui-ci, sans indulgence. L’enfance est un « enfer pâle, enfer lent ». Sans excès d’anecdotes, « l’ère odieuse des normes » est dénoncée. S’ensuivent des images de rats, d’égouts, de pluie balayant les crachats, voire de chasses tirées. Les nuls, les crapules et autres pitbulls sur deux pattes pullulent. Il y a du La Bruyère sous les vers de Sédir. L’impassibilité, face à la cible, frémit souvent. Le poète condamne encore « l’onanisme électronique » et les « ignominies télévisées ». L’imbécillité happerait le marché comme les hyènes la charogne. Ce n’est pas pour rien qu’il cite au cœur de son livre Schopenhauer, la farce du monde, le déplacement des pièces sur l’échiquier. Il n’en reprend pas moins à son compte la nécessité de « franchir la vie et la mort ».

Comment ? Le poète qui lève les yeux appelle aussi à clore les paupières. Il faut en effet rendre au passé ce qui appartient au passé. Nos souvenirs sont des bruines qui descendent à la mer. Le beau temps les sèche. Un orage les ramène. La mémoire pleut. Puis l’oubli de nouveau les absorbe. Georges Sédir rend bien compte de cette perception du temps. L’homme est une goutte de pluie dans l’univers. Est-ce que la même goutte peut pleuvoir deux fois ? Est-ce que « ce court fragment d’existence / est un simple essai maladroit » ? Telle est en tout cas la hauteur de sa méditation qu’il conquiert la paix page à page. Il confesse même une pointe de modestie. Écrire, dit-il, est trop facile s’il s’agit de ne saisir que « le vif, l’impermanent ». Il parle même de “fatras” en lieu et place du poème, tandis qu’il laisse entrevoir une faculté qui lui est propre d’entendre « un ton de voix inoublié depuis trente ans ».

Il est des livres de toutes sortes. Celui-ci est d’un poète sans façons. Sans éloquence ni fatuité, son auteur en devient d’autant plus attachant qu’on le sent, au cœur de sa réserve même, libre de toute attache.

Pierre Perrin, Autre Sud n° 8, mars 2000

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