Jean-François Solnon, Catherine de Médicis, Perrin, 2003

Jean-François Solnon Catherine de Médicis
Perrin éditeur, 2003 [460 pages]

Professeur d’histoire à l’université de Besançon, fin politique et féru d’art, Jean-François Solnon est aussi président du jury Lucien Febvre. Ce prix annuel est soutenu par le Conseil régional de Franche-Comté. J.-F. Solnon a publié quelques ouvrages majeurs. Le classique Quand la Franche-Comté était espagnole, chez Fayard en 1982, est constamment réédité. La Cour de France a suivi, en 1986, chez le même éditeur. Puis il y a eu Versailles, en collaboration avec Bruno de Cessole et F. Valloire, chez Chêne, un “beau livre”. Et en 2001, chez Perrin, a paru la biographie consacrée à Henri III.

Catherine de Médicis, dixième ouvrage de Jean-François Solnon, s’avère un livre de réhabilitation. L’auteur a notamment examiné par le menu les dix tomes de la Correspondance de la reine. La subtilité de sa lecture, qui ne néglige rien, y compris l’ombre d’une interception toujours redoutée, la clarté de la réflexion, la force des évidences, la constante attente de lecture qui incite le lecteur à parcourir cette existence au pas de charge – un pas soulevé de constants bonheurs d’écriture –, tout accrédite la nécessité et la grandeur de ce livre.

La Florentine avait laissé dans la mémoire des Français une incarnation de Machiavel en jupon. C’est qu’elle a gouverné par procuration, « non en lionne, mais en renarde », précise Solnon qui en rappelle les raisons : la platitude du Trésor ligote le pouvoir ; l’exacerbation des passions religieuses entretient la rébellion. Huit guerres de religion secouent la France de 1560 (Catherine est, depuis quelques mois, veuve de son unique amour et mari) à 1598. Or, trente ans durant, elle va tout tenter en faveur de la paix. Tout atteste les efforts déployés dans ce sens. D’ailleurs, de toutes nos reines, combien ont habité leur nom, qui plus est : leur nom de jeune fille ? La veuve n’est pas restée seconde. Au-delà de ses temps de régence, elle est devenue, ainsi que son fils Henri III l’appelle pour enfin l’éloigner à la porte de la mort, « la mère de l’État ».

Non content de réévaluer une politique, de remettre en mémoire une époque troublée, ce livre dresse aussi un magnifique portrait. Née presque orpheline, celle qui n’eut pas le privilège de la beauté a dû tout conquérir. Elle a déployé plus que de la patience, une ténacité de femme, de mère, de régente, de ministre plénipotentiaire. À chaque entreprise, il lui fallait tout remettre sur le métier. Un tout de France, pour pacifier les villes, dure deux ans. Il n'est pas achevé que la guerre est déjà rallumée. Pourtant cette reine avait l’art de la négociation, les yeux dans les yeux qui savaient percer l’autre, avec toujours au moins deux fers au feu. Elle a acquis le sens de la France. Elle s’est fait l’apôtre de la tolérance, en un temps de factieux. La nuit de la Saint-Barthélemy en témoigne.

Le plaidoyer mobilise la force des évidences. Par exemple, si, sous prétexte de se maintenir au pouvoir, elle avait diaboliquement encouragé les meurtres des deux bords, sa mort, écrit Jean-François Solnon, les eût fait cesser. Or l’Édit de Nantes ne sera signé que neuf ans plus tard ! Par ailleurs, si tout le monde identifie sans peine Catherine de Médicis, c’est que cette femme fut un roi. Charles IX préférait la chasse et des accès de mysticisme faisaient se prosterner Henri III. Pour cette mère mal récompensée, l’action fut une raison de vivre. Mais elle a eu aussi le sens de l’art, du portrait et de l’architecture, quand même elle a préféré, pour ses réceptions, le comique, presque le vaudeville avant l’heure. Montaigne le confirme, dans ses Essais, livre III, chapitre 6, quand il évoque à son propos sa « liberalité naturelle et munificence, si ses moyens suffisaient à son affection ».

La narration enchante par la grande pudeur avec laquelle l’auteur multiplie ses pointes. Chez ce fin analyste de l’exercice du pouvoir, tout semble transparent, les dessous et les revers, la face à ne pas perdre et les pertes auxquelles il faut bien faire face. On est de plain pied dans l’histoire, comme un enfant dans son bain. On est à la Renaissance. Et, sous cette plume, hier s’avère presque plus vrai que demain. Demain reconduit les mêmes fautes, la même impuissante grandeur. Bref c’est à un plaisir certain, relevé du soin apporté à l’édition, que convie Jean-François Solnon. S’il est des livres d’excellence, celui-ci en fait partie.

Pierre Perrin, La Nouvelle Revue Française n° 569, avril 2004


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