La Littérature en péril de Tzvetan Todorov [2007]

Tzvetan Todorov, La Littérature en péril
éditions Flammarion, 2007

Tout opuscule devrait être grand. Ici, le sujet est crucial. Mais le pamphlet qui l’illustre, en-deçà de sa brièveté, est si retenu dans son verbe, qu’il déçoit. Peu de rythme, un style tout au plus universitaire, sans saillie ni beauté, enfin un volume d’idées limité font que cette petite heure de lecture laisse un peu le lecteur sur sa faim. De quoi s’agit-il ? De l’agonie de la littérature en France, et même en Europe, et en France en tout cas précipitée par les derniers choix de l’enseignement. En gros, la littérature ne fait plus sens, ou texte ; elle est réduite à un prétexte. Elle sert à l’étude d’outils douteux — les registres, qui ne font l’unanimité chez personne, et autres objets qui détournent l’attente légitime des lecteurs de tout âge : un livre dit le monde. C’est ce que Bruno Bettelheim indiquait on ne peut plus clairement dans son introduction à la Psychanalyse des contes de fées, quand il dénonçait déjà la dérive du collège vers la littérature de jeunesse : « Ces livres [à visée restreinte] trompent l’enfant sur ce que la littérature peut lui apporter : la connaissance du sens profond de la vie et ce qui est significatif pour lui au niveau de développement qu’il a atteint. » C’était en 1976…

Tzvetan Todorov illustre le tournant pris par l’art au vingtième siècle, dans lequel l’utile d’autrefois — instruire, plaire — a cédé la place à l’exclusive production de beauté. Il écrit ainsi, page 64 : « On demande à la peinture d’oublier le monde matériel et de n’obéir qu’à ses propres lois. » Il rappelle également que l’accrochage fait la valeur et, à l’appui de sa démonstration, l’exemple de l’urinoir de Duchamp prend force de loi. Pour ce qui est de la littérature au vingtième siècle, il accuse la « triade formalisme-nihilisme-solipsisme ». En d’autres termes, il déplore que la route suivie par les écrivants actuels, autorisés à se gargariser parce qu’ils collent au discours de la critique dominante, soit aussi devenue celle qui désertifie la voie littéraire. — On pourrait s’étonner qu’ayant siégé au Conseil national des programmes, de 1994 à 2004, l’auteur n’ait pas su se faire entendre, ni ne dise aujourd’hui un mot d’une aberration parmi d’autres, celle qui demande que les professeurs enseignent, en temps que courant littéraire, la littérature engagée ! Comment un courant, s’élevant comme par nature contre un précédent, concilierait-il les frappes d’Agrippa d’Aubigné, de Voltaire, de Barrès et de Sartre, d’une même volée ? — Il faudra encore d’autres pierres pour faire venir au jour le bon sens que l’auteur cependant appelle de ses vœux.

Pierre Perrin, le présent site, 2007

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