Je m’ennuie sur terre de Jean-Pierre Georges Le Dé bleu

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre
Le Dé bleu

En couverture, noir sur blanc, la photo craquante d’un gamin debout sur la rive d’un fleuve avec, au fond, à la hauteur des épaules, deux arches de pont, de sorte que l’entrée dans ce petit livre passe par un heureux contraste et avive la sympathie pour qui n’aurait jamais lu Jean-Pierre Georges.

Je m’ennuie sur terre constitue son dixième ouvrage publié. Il s’agit là d’un long poème en vers brefs, non ponctués mais avec une majuscule à chaque début de strophe dont la longueur varie de un à seize vers. Le tout mêle savamment des réflexions caustiques et des fragments de récit immobile, dans la mesure où, si le poète se déplace quelquefois telle une ombre sur une carte – il se rend chez de rares amis poètes, chez ses parents, et il côtoie les bords du Cher –, il s’arrête surtout pour saisir le temps et se donner des nouvelles de la vie qu’il écrit.

L’originalité de Jean-Pierre Georges, qu’on peut mesurer au ton de sa voix, réside dans un pessimisme qu’un sourire timide relève souvent. Quelle que soit la déréliction dont il nous entretient, l’apitoiement sur soi n’est pas de mise. C’est un frère de Georges Perros. Il peut noter que « les télés hurlent derrière les volets » aussi bien que « tu es jetable, remplaçable / x milliards d’exemplaires livrables » ou bien « Ah comme je voudrais entrer / en religion de vivre » et « fillettes vêtues de votre seul bronzage / […] / une sorte de croc pour âme de voyeur ». Il ne rechigne pas à mettre à jour, comme dans un roman – puisque trop de poètes d’aujourd’hui occultent qu’ils auraient un sexe qui leur rend l’existence plus ou moins belle – ce qui occupe tout le monde : « elle s’est assise sur ma bouche / avec ma langue je vais le plus loin / possible j’ai quelque mal à respirer / […] / pour le plaisir elle a un doigt / précis chirurgical / elle fait durer » ou ces mots qu’on a tous entendus un jour, qui disent tout : « tu ne peux plus me faire l’amour / il y a une autre femme c’est ça ».

Bien sûr, un long poème, ici une soixantaine de pages, ne se déroule pas sans quelques notations dont la pertinence ne cloue pas forcément sur place le lecteur, par exemple cette strophe relativement laconique : « J’ai besoin de grip pour ma raquette / et d’un documentaire / sur Marco Polo », sauf à  chercher de part et d’autre tout un réseau de connotations, de quoi presque refaire un autre poème. Toutefois ces strophes un peu légères sont assez rares, permettent presque de respirer, surtout quand on lit, outre « Un poème c’est la grâce ou rien », « Vieillir est arrivé » et la strophe est finie. Car la grâce de Je m’ennuie sur terre tient dans son mouvement fait de contrastes incessants. Si l’on songe, à telle page (« aquoiboniste faiseur / de chansons tristes »), que Jean-Pierre Georges est un de nos meilleurs lyrico-dépressifs, on pense sans cesse au-delà, car sa voix dit bien l’humaine détresse que traversent des bonheurs de toute sorte ; « l’amour c’est fait pour ça / il y a plein de gens très tranquilles / au fond des tombes ».

Lisez Georges, son « ennui » vous désennuiera « de la poésie martyrisée », car avec lui on lit comme on respire.

Pierre Perrin, La Bartavelle n° 5, Octobre 1996

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