G.-L. Godeau, On verra bien
le Dé bleu, 1995
Godeau, né en 1921, est un cas dans la production poétique de la deuxième moitié de ce siècle. Entré vers la quarantaine en effet sur la scène littéraire, constamment soutenu, presque porté par l’auteur d’Avez-vous lu Char ? Godeau a suscité l’intérêt de ses pairs, sans trouver pour autant un public à sa mesure, en France, alors que traduit, au Japon et ailleurs il trouve de nombreux lecteurs.
Godeau propose, depuis trente ans, des instantanés ; son poème fait de phrases laconiques tient en une dizaine de lignes ; quelques-uns s’avèrent des chefs-d’œuvre. Dans ce dernier recueil, il brocarde particulièrement le tourisme de troisième âge. « Cote d’alerte » s’achève par exemple sur ces mots : « Ça commence à devenir emmerdant à la fin. » Ce prosaïsme, c’est tout lui, chez qui l’image est rarissime. C’est comme si, pour restituer le saisissement d’une émotion – presque toujours présentée dans l’espace arrêté d’une rencontre sans lendemain –, Godeau châtrait la nature même de celle-ci, qui est l’impossible.
La dernière partie d’On verra bien s’intitule justement « Georges Mounin », mort voici peu. « Au Clotet » est l’un des onze poèmes :
« Jeune, il s’était jeté
dans la politique. Pour changer le monde. Mais le monde
se trouvait bien comme ça. Alors, il fit des
études pour être professeur. Dans la linguistique.
Pour mieux comprendre la poésie. En fait, pour
être heureux. Il le fut pendant quarante ans malgré
les défaites. Pour lui, c’était
des victoires.
« Dans son antique maison,
il jardinait. Il ne tirait pas en l’air pour terroriser les
voisins. Au contraire, il s’avançait au grillage, il
cueillait les framboises qui dépassaient et, à travers
les mailles, il les glissait aux enfants avec sa voix qui jouait de
la musique.
« La poésie qu’il
aimait n’allait pas plus loin. »
Telle est, aux antipodes des fulgurances de Char, la vérité de Godeau. Comme Mounin les goûtait tous deux, le temps ne serait-il pas venu pour les Français d’en faire autant ? Ce sera une aventure d’accès facile et promise à de vrais bonheurs, en lisant et relisant par exemple une première anthologie de cent quarante poèmes de Godeau, parue chez le même éditeur, en 1985, sous le titre Votre vie m’intéresse.
Pierre Perrin, La Bartavelle n° 5, Octobre 1996