Partance et autres lieux de Guy Goffette

Guy Goffette, Partance et autres lieux
suivi de Nema problema, éditions Gallimard

Goffette a l’art de rayer d’une pointe de diamant la déréliction. L’humour avec lui, telle une bouilloire pour la soif, chantonne toujours dans un coin de la page. Il ruisselle à son rythme tout particulièrement dans la seconde partie de cet ouvrage, Nema problema. Il s’agit là d’une expression, sans doute yougoslave, derrière laquelle le poète rapporte plusieurs de ses voyages dans les pays de l’Est. La page consacrée à l’enterrement d’Aurel, en Roumanie, frère de notre « cinglant Diogène » en son Précis de décomposition entre autres, atteint à la grandeur dans la simplicité. En réalité cette qualité est le propre de Goffette, poète et prosateur. Qu’il se joue des mots « pour nommer la calamiteuse détresse de ces jours mal endimanchés, de ces dimanches mal emmanchés », comme il le stipule dans l’un des récits de la première partie, il reste limpide. Natif des Ardennes (« une Tartarie de poupée : trois frontières, trois collines et une rivière qui change de nom »), passionné de Verlaine et de Rimbaud, s’il part c’est toujours pour grandir. Et il ne grandit jamais mieux qu’à retrouver « le chemin frémissant, vertigineux, fruité de l’enfance et son goût violent de givre dans la fugitive beauté des choses ». Il stigmatise au passage la caricature moderne du voyage dont l’essentiel est d’arriver, de même que le magot prévaut sur l’âme. Cependant sa nostalgie reste tempérée. Seul compte en effet le présent, écrit-il. Son présent à lui tient la main à l’éternité qui déjà l’entraîne à sa suite, au-delà de la lumière. Des sept récits qui composent la première partie, se dégage une certitude : le plus réussi s’apparente à un conte. « Il était une fois dans une chambre d’hôtel un homme à sa fenêtre qui attendait la mer. […] Et quelque chose qui ressemblait à de la confiance s’était peu à peu installé sous sa carapace d’élégiaque forcené. » C’est aussi cette conquête-là, si pacifiquement offerte, qui fait lire d’un trait tout ce que livre Guy Goffette. Avec lui s’élève un bonheur de vivre, heureux enfin de se déclarer. Partir, dit encore Goffette, oui, pour se rejoindre comme le font au grand jour les terres et les mers et au secret quelquefois les vivants et les morts. Guy Goffette en arrive à ce point de son art qu’il éclaire celui qui vient à lui de l’intérieur. Cela s’appelle la beauté.

Pierre Perrin, Poésie1/Vagabondages n° 22, juin 200


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