Gérard Noiret,
Polytyque de la dame à la glycine
éditions Actes Sud, 2000
Sous-titré roman – simplement, plutôt que gothique, qui ferait trop élancé – ce septième recueil de Gérard Noiret propose, plus qu’un tableau articulé entre sa prédelle et son pinacle, un tombeau, un temple, un panthéon pour une anonyme. La composition de l’ouvrage occupe, à première vue, une place majeure ; elle est au reste reprise, redessinée sous la forme du tableau lui-même, à la Table. Si l’on n’y réfléchit guère, quand Noiret au contraire est de ceux qui pèsent l’impalpable, elle contraste avec le sujet du livre où le réel s’entretisse avec la mémoire. De purs éléments, tels que la maison et sa glycine, fondent, éparpillent et rassemblent pour partie une famille. Il s’agit essentiellement d’accompagner, et de la ressaisir dans le même temps, une disparition.
« Les lèvres que j’avais crues éternelles ne prononceraient plus mon prénom. »
Une mère, une ouvrière de banlieue, va mourir et meurt. Mais Gérard Noiret l’accompagne si bien qu’il la fait presque ressusciter d’entre les lignes. Il n’y manque peut-être, vivante, que son odeur, sous la glycine. L’ensemble tient de la littérature en ce qu’elle offre de meilleur, quand elle traverse les apparences et plus encore les frontières de la vie et de la mort. L’ensemble tient, tout court, d’autant plus que la vie mise en scène sous la lumière des mots, du cœur retenu et de l’intelligence est, comme toujours chez Noiret, exemplaire de la fidélité aux origines. Il y a chez lui un refus de la prétendue sublimation d’une vie en destin, à l’instar des promesses sans suite. La magie qui persuade sans donner de raisons n’a pas prise sur lui. C’est pourquoi ce tombeau reste couleur de terre, fidèle à la banlieue. Le ciel n’y a point sa part, sinon à l’extrême pointe de la glycine.
La forme en revanche, pour n’être pas tout, le maçonne et le cisèle. Noiret entrecroise des sortes de phrases sans jointures, comme s’il les recueillait de plusieurs voix, entre chien et loup, sans verser pour autant dans on ne sait quelle poésie-trottoir. Ailleurs, de brefs et simples poèmes en vers libres croquent des scènes d’existence où un dizain parfois vibre telle une nouvelle de Maupassant. Des ensembles de prose enfin se déploient sobrement, où la narration se mêle imperceptiblement à l’introspection. « Je voulais sauver une sorte de fossile qui, un jour, me prouverait que tout avait bien existé. »
En écrivain accompli, que ne disperse aucun compromis, Noiret creuse un sillon où il croise peu de confrères. La démocratie a plus conquis l’histoire et les historiens que les littérateurs en leurs récents ordinuscrits. Les humbles gens d’aujourd’hui n’attendent sans doute rien. Pourtant ils mériteraient d’entrer dans les manuels, autrement que sur les pas de Cosette, la larme à l’œil. À mille lieues de la démagogie superbe de Hugo, Noiret ouvre la porte à une réalité du petit matin, des sans grade à la chicorée, de ces vies sans auréoles que celles vite effacées. La propreté, cela ne se remarque pas. Cette fraternité-là, qui vient de l’ombre, mérite la lumière que les lecteurs exigeants partageront d’emblée.
Pierre Perrin, Poésie1/Vagabondages, n° 24, décembre 2000