Jean-Michel Maulpoix, Le Voyageur à son retour, Le Passeur, 2016

Jean-Michel Maulpoix, Le Voyageur à son retour
éditions Le Passeur, 2016, 160 pages, 15 €

couv. MaulpoixEstampillé “littérature” plutôt que “poésie”, ce volume invite le lecteur à le traverser, presque à l’ancienne, sur la lame d’un couteau. Dès le prologue, en effet, Jean-Michel Maulpoix se pose la question de l’authenticité, sans faux-fuyant, en dévisageant la seule qui vaille, la mort, la “finitude” comme il aime à dire. Le prix de ce livre est dans cette tension. « Se pourrait-il qu’à présent je fasse seulement semblant : prendre une plume et un carnet, écrire encore, raturer, recommencer et laisser croire que je m’en vais là-bas, vers un nouveau livre sans doute, quand ne demeure en vérité que la reprise vaine d’un vieux geste n’ayant plus d’autre raison d’être que de se répéter pour rien, ne partant plus nulle part et le sachant, mais poursuivant encore, comme pour connaître sa fatigue, et comme continue bêtement de battre le cœur de qui cessa d’aimer ? »

La marque de fabrique de Jean-Michel Maulpoix, et la place qu’il occupe dans le paysage poétique français depuis Ne cherchez plus mon cœur, chez POL voilà trente ans, l’atteste, c’est d’écrire en tendant du côté de la clarté. « J’ai le désir d’une écriture qui tire au clair : qui clarifie et qui conduise du côté de la clarté. » Le trémolo qu’il ajoute aujourd’hui, à sa façon de tenter un bilan, ne laisse pas de toucher : « Jamais je n’ai su toucher l’os. Ni vraiment fait sonner le vide. J’ai trop aimé les textes bien coupés, sans faux plis, doux au toucher, et qui enveloppent notre peau d’une douceur tiède. »

L’ensemble, qui relève du carnet du voyageur, parfois immobile, en vrille sur ses interrogations, est relativement inégal. Du moins, c’est affaire de goût. « Observation à caractère général : en Amérique, méfiez-vous des sauces. » Ou bien : « plumer le touriste est un art ». De telles notations peuvent ne pas transporter le lecteur pris au dépourvu. Les 115 pages de Maulpoix réservent d’autres surprises – de meilleure qualité. Les 115, car les quarante dernières pages sont offertes à des amis tels que Jean-Marc Sourdillon, Gérard Noiret, Pierre Grouix et s’achèvent par une élogieuse critique du livre “à son retour”, signée Michèle Finck.

Heureuses surprises donc : « Tout bonheur est un sablier. » Le poème en prose “Flamenco”, quinze lignes, est épatant, comme les quatre pages qui, sous le titre “Golgotha”, font état d’un déplacement à Jérusalem : « Le nom de la capitale mondiale du monothéisme signifie en hébreu “La paix viendra”. La mort y est bon marché. » Maulpoix cite Hofmannsthal, dans un exergue : « Ce qui doit toucher l’âme, cela ne se laisse pas prévoir. » L’écrivain, tout exigeant qu’il soit avec soi-même, ne peut guère anticiper la réaction de ses lecteurs. Cette dernière s’enchante sans détour de ce vers blanc, au rythme ternaire, un paradoxe à valeur d’apophtegme, une réussite : « Être le témoin anachronique de son temps » et donne quitus à Maulpoix sur sa qualité d’écrivain.

Ce volume vaut donc par les questions que se pose Jean-Michel Maulpoix. Les deux pages intitulées “Une collection de phrases” les résument assez bien, en deux temps distincts. « Je suis atteint d’un mal curieux : mon corps est plein de phrases. Troué de paroles et mangé de vers, il n’est plus remué que par ces créatures voraces qui le vident lentement de sa substance. » S’ensuit le doute qui le taraude : « Je ne suis plus une personne, mais une sorte de catalogue de formules et de visages. Autrui m’est plus proche que moi-même. » Au doute, la mort dévisagée, succède une sorte d’apaisement où « s’abandonner un peu, puis se reprendre à temps, ajuster l’amour au mourir, et s’appliquer à parler juste dans l’incertain », allant jusqu’à énoncer que l’important, dans une phrase, est moins dans ce que celle-ci dit que dans la distance à quoi elle se mesure. De même, écrit-il encore un peu plus loin dans “Crayons de couleur” : « La beauté du monde ne tient qu’à un fil : c’est parce qu’elle est d’une fragilité extrême qu’elle résonne parfois comme une corde parfaitement tendue qui rend un son juste. »

Pierre Perrin, La Cause littéraire, 09 Mars 2016


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