L’Instinct de ciel de Maulpoix, au Mercure de France

Jean-Michel Maulpoix, L’Instinct de ciel
Mercure de France

Imaginer Jean-Michel Maulpoix en palimpseste de chair et d’os qui sourit, ce serait le regarder du ciel peut-être. À terre, il n’en est pas moins un homme d’une grande culture. Le lire, c’est un peu comme chez Gracq cheminer en archipels. La littérature se nourrit au mieux de sa longue mémoire. Le lecteur n’est jamais brusqué ; les clins d’œil sont discrets, mouchetés, transfigurés. Chacun ne peut tout enregistrer de ce que renvoient les miroirs. Seule compte aussi bien sa réflexion propre, notre unique richesse.

L’Instinct de ciel, ouvrage de 128 pages, en prose, d’un lyrisme discursif (pour dire vite), tout ensemble interroge, raconte, célèbre et parfois stigmatise l’existence de l’homme sous le ciel. Le titre est emprunté à Mallarmé, dont Maulpoix ne partage pas la stérilité. Il note au reste : « J’ai aimé la chair et les livres. […] Les corps et les livres sont une même blancheur et une même nudité. » La première proposition corrige le désespoir mallarméen (La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres) ; la seconde l’avive au contraire, qui réduit l’amour à une étreinte de papier. Maulpoix est d’un optimisme sans illusions sur le partage y compris amoureux. Malgré spasmes et frissons, nul n’étreint « jamais rien d’autre que quelques dizaines de kilos de chair ».

À le suivre, cette existence est vide, tout de temps perdu. « La vie humaine n’est qu’un couloir : quelques portes et quelques crochets pour les manteaux et les écharpes. » Elle est d’autant plus une impasse que grandit autour de soi, voire en soi, l’agitation, l’éternel paraître où l’écrasement est de rigueur. L’échappatoire se dessine à la prise de conscience de « tout ce bleu rentré dans la gorge ». C’est ainsi qu’au début de la deuxième partie l’âme entre en scène. Maulpoix la définit comme « cela qui s’écarte de toi : ce fil ou ce filet de voix qui dit “tu” en s’échappant de son corps mortel pour le nouer à d’autres, aussi mortels que lui, et comme lui désireux de s’évader d’eux-mêmes pour se survivre ». Il ajoute plus avant cette justification qui ne manque pas d’éclat : « Quels chemins suit la langue de la pensée jusqu’à la voix ? Les noms les plus chers ne sont-ils dans la tête qu’une substance chimique ? La phrase une électricité ? »

La troisième partie fait se conjoindre l’amour et la poésie. La modestie de Maulpoix lui dicte de belles pages sur son plaisir d’un côté, de l’autre sa dépossession. Ainsi peut-il n’être pas un homme de parole, puisque c’est la parole qui fait naître l’écrivain. Cependant sous le jeu, la braise étincelle. « Moi qui ne savais pas croire, je prie. » L’écriture est devenue cette prière qui consiste à « offrir déjà la chair au rien qui la dévore ». Tel est le voyage, empreint d’une grave légèreté pareille au sable, auquel nous convie le nautonnier Maulpoix, pour remonter avec lui le fleuve de l’oubli.

Pierre Perrin, Poésie1/vagabondages, n° 24, décembre 2000


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