Pierre Perrin  article sur Jean-Michel Maulpoix, Pas sur la neige, au Mercure de France

Jean-Michel Maulpoix, Pas sur la neige
Mercure de France, 2004

Six parties structurent cet opuscule conséquent, étiqueté récit. Ce dernier point s’avère en adéquation avec la cinquième partie, la femme de neige. Cette dernière en effet évoque la grand’mère de l’auteur, à qui l’ouvrage entier offre ce « bref mémorial ». C’est sans doute sous cet angle que les questions s’ordonnent, lumineuses. « Est-il possible que de notre propre vie nous ne soyons que les fantômes ? » Est-il possible que notre existence se résume à « ce projet d’exister » ? Qu’ont fait Debussy, Monet, le tchèque Hollan, Bonnefoy et Jaccottet ? L’œuvre est-elle le sésame et la stèle à la fois ?

La pensée de Maulpoix est toujours belle à suivre. Elle ne pèse pas ; ses angles blessent le moins qu’il est possible. Elle exprime pourtant des réalités pleines et entières. C’est ainsi que le poète en lui réclame « l’impossible réparation de l’idéal brisé ». Il consigne comme un crime « la fin de l’espoir ». La contradiction — celle d’être à son tour choisi parmi les morts — ne lui échappe pas. C’est peut-être pourquoi son livre s’achève, par deux fois, sur la notion de clôture. À l’intérieur, insistance est faite sur l’unique importance du « trajet terrestre ».

Cependant les affaires du monde, la couleur du tissu social, tout ce qu’on voit chaque jour, l’incurie au carré, tant de missions dont les bénéficiaires ne rapportent jamais que les frais, ne traversent pas ce livre. « Celui qui marche sur la neige marche sur du ciel tombé. Il traverse des pays effacés, des lointains devenus très proches, et s’en retourne vers une enfance plus vaste que la sienne. » C’est donc une danse très pure que ce livre. « Oserais-je dire que les poèmes sont de la langue battue en neige ? Montée en neige pour le bonheur d’un semblant de sens. »

Notes de journal sans date, poème, célébration solitaire, rêverie, travail au clavier sur soi, il y a de tout cela dans ce beau petit livre. Il y a, peut-être plus haut encore, la saisissante “r’évocation” de l’amour. (Celui-ci a valu à son auteur son meilleur recueil, Domaine public, chez le même éditeur, en 1998.) « Non, je ne veux plus de ton manque, ainsi s’achèvent les histoires d’amour. […] Elle était ce creux éperdu. Vide avide qui se remplit de paroles, de caresses, de baisers. » Ces grandes petites pages valent plus qu’un détour.

Pierre Perrin, Poésie 1/Vagabondages n° 37, mars 2004


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