La censure : Lettre ouverte du comité national de soutien à Pierre Jourde [extraits, novembre 2002]

Des façons du milieu littéraire, La censure
Lettre ouverte du comité national de soutien à Pierre Jourde [Novembre 2002]

À  M. le Directeur du Monde,

Nous, lecteurs du Monde, et par ailleurs écrivains, artistes, critiques, enseignants, étudiants — ou autres —, suite à la mise en demeure adressée à Pierre Jourde par […] Le Monde des livres, tenons à vous faire part de notre vive indignation. Nous ne pouvons croire qu’un journal qui prône la liberté d’expression […] puisse attaquer pour diffamation un écrivain qui n’a fait qu’exercer librement son esprit critique avec les moyens de son art.

Les faits. Sont essentiellement incriminés les passages suivants :

  • — article de Chronic’art : « Le Monde des livres publie non seulement de nombreux textes dudit Sollers, mais, avec constance, de copieux articles sur son œuvre, généralement remplis de dévotion. L’entité Savigneau dirige Le Monde des livres. Il est donc à supposer qu’elle a  quelque  responsabilité dans cette situation. Cette situation est-elle normale et saine ? »
  • — essai La Littérature sans estomac (L’Esprit des péninsules, 2002) :
  • Page 41 : « Qui déplaît à Philippe Sollers ou à Josyane Savigneau, quelle que soit la qualité de son œuvre, n’aura pas les honneurs du Monde des livres » ;
  • Page 42 : « En revanche, dès qu’il s’agit du Grand Libérateur Sollers, aucun encens n’est trop précieux, aucune flagornerie n’est assez appuyée. Les hommages se succèdent dans l’organe officiel du Parti ? Josyane Savigneau se prosterne régulièrement. L’infatigable militante transmet au peuple culturel les intuitions géniales du Grand Libérateur. Les autres membres du Comité central se bousculent pour monter à la tribune » ;
  • Page 61 : « Quant au Monde des livres, dirigé par Josyane Savigneau, il offre un bon exemple de collaboration avec la « grande tyrannie », pour reprendre l’expression pompière de la même Savigneau. Enfermé dans des questions d’intérêt, de vengeances et de manipulations, claquemuré dans une représentation irréelle du monde, il élabore un modèle de pensée obligatoire et contribue à l’étouffement de talents véritables ».

Même si les écrits de P. Jourde suscitent chez certains d’entre nous quelques réserves, il nous paraît scandaleux de voir diffamations et injures là où il n’y a que critique de certaines pratiques journalistiques, par ailleurs maintes fois dénoncées (complaisance, renvois d’ascenseur, tactiques diverses...) — critique qui s’appuie sur des procédés satiriques (métaphore, hyperbole,...).

Cette offensive sur le terrain juridique est d’autant plus surprenante que l’article de M. Douin dans Le Monde des livres est, de ce point de vue, beaucoup plus condamnable : il évoque la « respiration catarrheuse » de l’écrivain et son « manque de rigueur », et cite entre guillemets des termes prétendument extraits du livre, mais qui n’y figurent pas...

Il nous semble donc que la réputation de votre journal aurait à pâtir d’une telle procédure judiciaire, laquelle ne manquerait pas de déclencher de vives actions de protestation à l’échelle nationale. En espérant que la raison l’emporte,

Comité national de soutien à Pierre Jourde [Novembre 2002]

La littérature en péril

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