Pierre Perrin  article sur Claire Fourier Métro ciel suivi de Vague conjugale, récits, éditions Actes Sud, 1996

Claire Fourier, Métro ciel suivi de Vague conjugale
récits, éditions Actes Sud, 1996

« J’ai attrapé mon écharpe, ce n’est pas une écharpe, les extrémités en sont cousues, c’est un ample manchon qu’on enfile par la tête, un double tour, cela fait une cheminée de laine tiède autour du cou… je glisse dedans nos deux têtes rapprochées, et à l’abri du monde, dans la douillette obscurité de la laine violine, je répète dans la volupté : “À l’hôtel ? faire quoi ? dis-moi.” Il commence à dire. “Dis encore, dis bien en détail tout ce que tu me fais.” Les yeux dans les yeux, et sa main glissée à la lisière du fourreau de chair humide et douce, il dit et j’écoute, je sens croître le tumulte, sourdre une effervescence des muqueuses, l’exigence intime s’affûte, mon ventre me pèse, me pèse, c’est une mer qui roule et grossit, des ondes se propagent, me transportent ; leur succède un intolérable à-pic. En même temps des volutes de soie me parcourent les reins, y chutent interminablement. Langueur qui me distend. Je ploie. Nous sommes exténués de désir. Je murmure : “Arrête!” Il continue. Alors, à mon tour, je murmure ce que je lui ferai. Ma main appuie sur son ventre. L’urgence nous dévore les flancs. Nos sens courent dans tous les sens. Intenable, la faim qui gronde. »

Une femme écrit le plaisir, dans une langue parfaite, avec un sens aigu du rythme et une mise en mots qui crée des sensations neuves. Rien de tel pour se réoxygéner le cerveau. C’est bref – quarante et cinquante pages – mais plein. Claire Fourier en rappelant « les corps portés à ce point d’incandescence qu’il n’y a plus trace de la bête », ce qui suffirait à justifier le désir dès qu’il est partagé, donne à la liberté de l’individu ses lettres de noblesse (étrange comme les idées toutes faites tirent en arrière! « mais vite on revient à notre siècle : l’étreinte est faite pour désintégrer l’atome »). Télérama ne s’y est pas trompé, qui a rendu compte de ce livre. Si l’érotisme est trop souvent insupportable, c’est qu’il conjugue la banalité, la vulgarité et des sadismes qui révèlent surtout un profond mépris pour la sexualité féminine. Avec Claire Fourier, après Françoise Lefèvre et quelques autres, la merveille parle, joue de la main, s’offre, s’ouvre à l’avenir en ce qu’il révèle de plus beau : le présent sur l’heure transfiguré. Non seulement, à la lire, chacun saisira mieux peut-être les voix secrètes de la jouissance, mais encore emporté par une prose de qualité qui ne recule pas devant l’émotion, il approchera du bonheur (« de me sentir à la fois limoneuse et liquéfiée », écrit-elle) salubre, saint, parce qu’il rayonne en cercles concentriques. « La seule pensée du corps de l’un réjouit le corps de l’autre, nos yeux éclatent de lumière dès que nous sommes ensemble. » Voilà un livre à ne pas manquer – un auteur à suivre sans plus attendre.

Pierre Perrin, La Bartavelle n° 5, 1996

Claire Fourier, Il n’est feu que de grand bois, 2015


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