Marina Yaguello [sous la direction de]
Le
Grand Livre de la langue française
éditions du Seuil, 2003
Avec ce titre décalqué du Littré,
lambition de cet ouvrage est de « faire le point sur
l’état de notre langue et de définir la place du français
dans le monde ». Il résulte des huit collaborations,
masculines et féminines à parité, un panorama fort
instructif. En un peu plus de cinq cents pages, trois versants essentiels
s’offrent en plénitude. Le premier cerne l’origine
de notre langue et livre les étapes de son évolution. Les
dates sont fiables, les éléments assemblés probants,
la conclusion sans appel. 70 millions d’habitants ont le français
pour langue maternelle, à quoi s’ajoutent entre 20 et 40
millions qui le parlent en seconde langue. En tant que langue internationale,
le français est « en rapide perte de vitesse : il y a beaucoup
de situations où il est en difficultés, peu où il
semble stable ou en progression ». Mais si ce constat par les chiffres
est alarmant, l’audience inférieure à 2%, le livre
est résolument progressiste. Le second versant de l’ouvrage
est technique. Il présente à grands traits ce qu’il
faut savoir de la grammaire, de l’orthographe et de la constitution
du lexique. Le dernier versant fait le point sur la généalogie
des dictionnaires, leur succès en tant qu’antichambre de
la culture, et pose la question de l’enseignement de la langue.
Si cette dernière partie, pour rester accessible, évite
les querelles byzantines, elle fait preuve d’un grand bon sens que
devraient méditer parents et professeurs avant d’ouvrir la
bouche. Ainsi, sur le point d’entrer dans plus de détails,
on est convaincu de la nécessité de cette publication. La
langue, à une ou deux exceptions près, y est bien traitée.
L’esprit est d’ouverture, la qualité certaine.
L’histoire de notre langue n’est sans doute pas ignorée du plus grand nombre. L’acte fondateur des Serments de Strasbourg est bien enseigné. Mais qu’au douzième siècle, « la plupart des textes écrits en français l’aient été en Angleterre, dans le dialecte anglo-normand », dont la plus ancienne version de la Chanson de Roland, reste une information peu divulguée. Plus techniquement, cet ouvrage brosse à grands traits les mutations de la langue. Il précise l’opposition en vigueur entre « le vernaculaire, forme de langue parlée dans le cercle privé, et le véhiculaire, moyen d’intercompréhension entre des locuteurs n’ayant pas la même langue première ». Et de rappeler l’âge d’or du français, poussé droit de Louis XIV jusqu’à Voltaire et Rousseau, mais sans un regret, encore moins de nostalgie. Le rôle conservateur de l’Académie, voire de l’école, est au contraire brocardé par Françoise Gadet. C’est que la langue est riche de mille inventions qui se renouvellent sans cesse. La langue est à l’image des générations qu’elle sert : elle évolue. Les lamentations s’avèrent de toutes les époques et ne font que marginaliser davantage ceux qui les serinent. En ce sens, les démonstrations ne laissent aucun doute. La langue n’est que le véhicule de ceux qui l’emploient. La société française connaît des limites : ce livre n’a pas pour objet de les révéler. Pour autant il rappelle que « l’histoire des langues montre que la diglossie engendre l’instabilité et ne peut se maintenir à long terme ». L’Europe ferait bien d’en tenir compte. — Continuer la lecture…
Pierre Perrin, la Nouvelle Revue Française, n° 568 [janvier 2004]