La Veste de fer de Michel Waldberg [la Différence, 2000]

Michel Waldberg, La Veste de fer
éditions de La Différence, 2000

Fils de Patrick Waldberg dont a paru l’an passé le roman posthume La Clé de cendre et d’Isabelle Waldberg, sculptrice, Michel Waldberg est né en 1940. Il a passé son enfance à New York parmi des surréalistes en exil. Il a effectué ses études à Paris-Sorbonne et de nombreux séjours en Afrique. Il a publié des essais, des monographies. Il a traduit notamment Malcolm Lowry et Philip Roth. La Veste de fer est le second volume d’une trilogie autobiographique en cours. Le premier, La Forêt sans arbre, reparaît augmenté dans le même temps (chez le même éditeur). L’ensemble est coiffé d’un titre en forme de constat : Le Peu de réalité. Ce dernier participe d’un certain désappointement mais aussi de la modestie qui est la qualité d’un homme sûr de soi.

Trois parties s’engrènent qui traitent le temps à la façon d’une fugue ou d’un canon. Le narrateur cherche un sens à sa vie qu’il descend et remonte en accordant une attention particulière aux écluses intérieures. Il partage en effet des moments d’amitié. Il chemine, il chevauche, il s’écharpe parfois. Quand même les coups restent feutrés, il les note. Un différend avec Cicéron Niepce le conduit à cette fière opposition : « Tu es au cachot dans ta maison grand ouverte et moi libre dans ma clôture. » Un choix de vie, mouvant comme cette dernière, fait en effet battre le cœur de ce livre. Il s’agit de surpasser les gisants que nous sommes quelquefois dans notre propre corps, avant même de mourir.

« J’aurais cherché de l’intelligible dans le peu de réalité que Dieu propose, et quelque chose d’intelligible au-delà de l’intelligible, en renonçant même à l’intelligible et à Dieu. » Tel est le propos de cet ouvrage aux multiples facettes. À un lecteur trop pressé, Michel Waldberg a sans doute tendu quelques pièges. À orienter dès le premier paragraphe l’explication de La Veste de fer sous la forme de « l’enfermement, la crétinisation, l’impuissance » auréolée de l’ivresse baudelairienne, Michel Waldberg retarde la féerie que dévide le fil de ses grandes pages. « Tu brûlais d’incendier tous les cœurs. Mais le dédain se lisait aux lèvres des fidèles infidèles. On se moquait de toi. Les verres cliquetaient dans le silence de ton chant. Tu poursuivais impavide la rogue exploration du désert de tout amour. »

Il y a là un art consommé de l’attrait et du retrait. Il y aurait sans doute une étude à mener sur le traitement conjugué de l’emphase de la truculence et de la truculence de l’emphase, chez Michel Waldberg. Celle-ci lui sert d’aliment et de repoussoir à la fois. Les trois parties de son livre en réfèrent à une maison close, puis à une maison de boue, enfin à une maison des morts. Mais par-delà cette triple clôture, le narrateur qui est de fer sous le velours s’élève en une sorte de rose des vents.

C’est un ouvrage subtil que La Veste de fer. L’armure défie le temps, la chair des mots prend et rend au centuple ce que le lecteur lui prête : « Je me transportais, par une espèce de sublimation, me dépouillant de ma dépouille mortelle, larguant çà-bas les amarres, jusqu’aux là-bas où décamper, aux pays devinés, pressentis de toute éternité, terres natales plus natales que la terre où je vis le jour, terres où ressusciter hors de l’humus originaire, où déployer ses racines, adventicement dans l’espace, où s’affranchir de la pesanteur, troquer les semelles de plomb contre les semelles de vent. »

Ce n’est pas seulement, après Baudelaire, Rimbaud, à cette dernière ligne, qui est convoqué dans ce livre ; c’est l’esprit tout entier. Et cet esprit-là, loin de s’arrêter aux trivialités du manichéisme, les redouble à tout le moins, comme chez Maître Eckart dûment cité : « L’œil par lequel Dieu me voit est le même œil par lequel je vois Dieu. » La vision au reste, dit encore Michel Waldberg, correspond à une idée. Mais cette dernière est chez lui si pressante et mouvante à la fois qu’en écrivain de race il nous ferait accroire au solipsisme, cette aberration vitale. La Veste de fer est ainsi une machine à gagner, à défaut de l’éternité, mais sans plus attendre, ce “peu de réalité” qui nous est imparti.

Pierre Perrin, La Nouvelle Revue française n° 555, octobre 2000

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