La Clé de cendre de Patrick Waldberg (1999)

Patrick Waldberg, La Clé de cendre
éditions de La Différence, 1999

L’auteur, né en 1913 en Californie, mais éduqué en France et décédé à Paris en 1985, a côtoyé de près les principaux membres du groupe Acéphale, tout particulièrement Georges Bataille, André Masson et Pierre Leiris. Dans les années qui précédèrent la seconde guerre mondiale, il s’était constitué sous ce nom une « communauté élective contre toute communauté de sang, de sol ou d’intérêts ». Les participants célébraient la chance, le rire et d’autres bleus du ciel éternellement vide. L’amour fou fut au rendez-vous pour Patrick Waldberg qui fréquentait aussi André Breton. Il a écrit dans la mouvance de ce dernier des poèmes qu’il a publiés peu après la seconde guerre mondiale. Il avait entre temps participé activement à la Résistance, ainsi que le donne à lire sa correspondance 1940-1949 avec Isabelle Waldberg. Ce fort volume paru en 1992 aux éditions de La Différence sous le titre Un amour acéphale offre une mine de renseignements de tous ordres. Car c’est toujours le dessous des cartes qui passionne et que révèle Patrick Waldberg. Parmi ces cartes politiques et littéraires superbement tournées et retournées, les portraits abondent, à l’acide ; les analyses, prises sur le vif, n’en sont pas moins fouillées, qui se resserrent parfois en de cinglantes formules. L’amateur trouvera là des confirmations de la manière brute dont Sartre, Éluard, Aragon, entre autres, pouvaient être perçus à la Libération. Il y a là une façon de tomber les œillères qu’il faudrait enseigner à l’école. Cela serait d’autant plus salutaire que « lucidité, tension et légèreté » s’avèrent les maîtres mots au service de la quête d’un mieux vivre sans cesse renouvelée. Si la rencontre et le partage de l’amour restent un des buts de celle-ci, l’auteur n’en revendique pas moins la triple nécessité de « la pudeur, de l’humour et de la dignité ». Vaste programme dont le moins qu’on puisse dire est qu’il emprunte un chemin de traverse par rapport aux ordres de Bataille. Cela le rend on ne peut plus sensé. Toutefois l’admirable, ici, englobe et élève plus encore le sérieux de l’entreprise. Car les précédents ouvrages de l’auteur concernaient essentiellement la peinture. Les essais Dada et Le Surréalisme , qui reparaissent chez le même éditeur, offrent avant tout une galerie de portraits où les peintres l’emportent. L’admirable tient donc en ce que le fils de l’auteur, Michel Waldberg, offre à la mémoire de son père une existence plus largement littéraire. Il déplace l’angle du regard. Ce roman posthume confère en effet à son auteur une stature que sans doute peu de lecteurs avaient observée de son vivant. Une telle action, qui témoigne d’une fidélité peu commune, ajoute du prix à cette œuvre qui, révélée, trouve un souffle propre aussi puissant que subtil.

Le titre déjà suggère un tableau surréaliste à lui tout seul. Se peut-il qu’une énigme près d’être résolue se désintègre ? La mort n’a décidément rien d’autre à faire. Quoi qu’il en soit, des jeunes gens à l’aube de leur existence marchent sans fin, la nuit surtout, en direction de deux sésames en apparence contradictoires. Tout est choix en effet dans ce roman comme dans la vie réelle, à cette différence près que l’intelligence et la sensibilité ne cessent ici de s’épouser dans l’ombre. C’est peu dire que l’intérêt du lecteur au fil de ces deux cent quatre-vingts pages, distribuées en sept parties qui pourraient se lire séparément, ne faiblit pas. La quête sombrement lumineuse conduit le lecteur jusque dans des profondeurs où se conjoindraient les interrogations de Bataille et de Souvarine.

La Clé de cendre est en effet un roman d’éducation, voire d’initiation, particulièrement abouti, quand bien même il demeure ouvert, non tellement pour de nouvelles péripéties, mais à coup sûr pour des investigations nouvelles que le lecteur n’a de cesse de poursuivre en revenant à lui-même, cette fois, sur sa propre vie. On ne peut rêver de meilleure action, pour la littérature, d’autant plus que, presque indépendamment de la quête de ces jeunes gens si adorablement typés qu’ils se dressent vivants tout au long de ces pages, force plaisirs mettent déjà l’eau à la bouche. La langue française est en effet, sous la plume de Patrick Waldberg, tout d’abord caressée, célébrée, adorée sans façons, possédée tout entière. Alors que la recherche poursuivie se situe dans la lignée de Nerval, de Poe, de L’Isle-Adam aussi, et qu’elle participe – l’exactitude ne craint pas la répétition – d’une vision de l’envers du décor, chaque phrase offre le luxe cistercien d’une netteté sans faille ; chaque mot, irréfragable. Ici, l’on perd pied, les yeux grands ouverts.— Continuer la lecture…

Pierre Perrin, La Nouvelle Revue française n° 551 – septembre 1999

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