le Manteau de Circé de Jean-Max Tixier au Taillis Pré, 2003

Jean-Max Tixier, Le Manteau de Circé
Le Taillis Pré, 2003

Tout poète digne de ce nom exige d’abord de son lecteur qu’il apprenne sa langue. Non pas que celle de Jean-Max Tixier présente des difficultés — au contraire, l’extrême pureté la caractérise —, mais justement l’époque est à l’esbroufe. C’est ce décalage qui demande qu’on retrouve la posture des vrais lecteurs. « Ferme les yeux. Écoute de toute la force de ton espoir. » Comme le recueil atteint presque les deux cents pages, l’effort en vaut la peine. Ce sont des poèmes écrits entre 1993 et 2002. La prose lapidaire côtoie le vers libre. Celui-ci, minoritaire, tantôt porte le chant, tantôt l’étrangle. Cela donne par exemple : « Tu moules la glaise // Le temps se creuse. » C’est qu’il y a toujours « Une boule d’absence / à pétrir ».

La poésie est la parole d’un homme à la terre. Le constat, chez Tixier, est sans conteste qui stigmatise notre époque de la sorte : « Rien ne porte plus l’homme / au-delà du désir. » Qu’on n’aille pas croire cependant à de la poésie engagée. À d’autres la démagogie ! Les droits de l’homme excitent les plus beaux esprits. Mais les plus beaux esprits tolèrent aujourd’hui le mur de la honte qu’Israël édifie dans les “territoires occupés”. Tixier sur ce terrain se risque moins qu’Orizet, dont il est un proche. Chez les deux poètes, une même méthode est à l’œuvre. C’est une recherche qui prédomine. Ils disent ce qu’ils font et comment ils le trouvent. L’enjeu est d’éternité, du moins « d’une aventure digne de durer ». Ce qui les meut, c’est la soif. « Il suffit à mon pied de fouler l’incertain », écrit Tixier.

Le poème chez lui forme encore un ensemble. Un titre rassemble une brève série. Il semble que ce fragment parfaitement clos sur ses grandes marges fasse un excellent art poétique : « Ne parle pas de frères si tu n’as pas de frère. Si ton cœur n’a pas battu, ne parle pas d’amour. Ni du poème si les mots tombent de ta bouche sans s’unir. N’accepte pas le quotidien d’une langue alourdie d’habitudes. Remonte du puits creusé dans le roc, main saignante, une goutte de jour arrachée à la terre. » On le voit, la morale est à l’œuvre, l’exigence la confirme. Et l’avenir est attendu, l’effort récompensé.

Pierre Perrin, revue Friches n° 85, février 2004

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