Annie Salager, Terra nostra, poès

Annie Salager, Terra nostra
Le Cherche Midi éditeur, 1999

Trois ans après Les Dieux manquent de tout, paru aux éditions Parole d’aube en 1996, Annie Salager revient en librairie avec ce bel ensemble de cent cinquante pages qui redistribue les poèmes d’une vie, choisis d’une main sûre.

Annie Salager, pour se mêler peu de théorie, n’ignore rien de la réflexion qu’engendre l’écriture de la poésie. À la lire sous ce jour nouveau qu’elle propose avec Terra nostra, une définition se presse d’elle-même à l’esprit. À quiconque, en effet, bouffer, brasser, baiser ne suffit pas ou plus et qui soudain ou depuis longtemps déjà cherche à conférer un sens à son existence, la poésie apporte non une réponse passe-partout et donc sectaire mais une direction sur laquelle on pourrait à son tour risquer un pas, une avancée peut-être. Les prophètes n’ont plus d’écho que dans les bas étages, avec des cures d’amaigrissement et autres séductions. L’espace de l’esprit se réduit à l’action, la conquête, le vol assermenté à grande échelle. Les sésames n’ont jamais ouvert que les cavernes d’Ali Baba. Chacun pourtant reste seul. On meurt de plus en plus seul. L’énigme reste entière. Il n’est plus de sacré que secret. La poésie participe de cette voie étroite. Sans dieu, sans esbroufe, sans estrade, elle s’excuse presque de briller dans la profonde nuit des consciences qui cherchent le défaut de l’éternité. Le mouvement concerne chacun, quand bien même quelques-uns seulement y participent, en ordre dispersé. C’est bien ainsi que s’avancent la plupart des lecteurs de poésie.

Annie Salager propose, à défaut d’une voix royale vers plus de lumière en soi-même qu’elle sait cependant élever et tenir, « une persévérance dans l’être ». Elle a donné parallèlement à cette anthologie personnelle un entretien à la revue LittéRéalité de Toronto. Elle y révèle, en répondant aux questions de John Stout, que la poésie lui apparaît « finalement une ascèse, un exercice spirituel, un exercice d’élucidation ». Ses propos confirment ainsi le sens de la lecture plus haut proposée. Elle confie encore que le sens et la nécessité du travail sur le poème ne lui seraient apparus que passé l’âge de trente-cinq ans. Sa préface à Terra nostra là encore entérine la remarque. Elle écrit en effet : « La première partie de ce livre reprend des poèmes de chacun de mes premiers recueils. Moins précoces que hâtifs, peu de textes supportèrent la relecture, j’en ai donc gardé peu. » Ils occupent moins de quarante pages. L’entretien cerne enfin ce que les poèmes chantent par ailleurs. « Le poème reconstruit le monde qui nous détruit, il est le cours d’un fleuve que nous descendons, il est jaillissement, lumière, il est le Verbe, sa profération. » Si je m’attarde sur ces considérations, c’est d’abord parce qu’elles accompagnent l’œuvre d’Annie Salager comme les berges d’un fleuve, mais aussi qu’elles finissent par se confondre – au large – avec ce qu’ont avancé les plus grandes voix du monde entier. — Continuer la lecture…

Pierre Perrin, Poésie1/Vagabondages n° 15, 1998

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