Daniel Guénette, Le Complexe d’Orphée
Essai sur l’objet « poésie »,
Éditions Nota bene, Québec, 2023, 186 pages, 27,95 $.

Quiconque se veut poète devrait lire d’un trait cet essai. Modeste, l’auteur dit qu’il lui reste beaucoup à apprendre. S’il méconnaît, à le suivre, la poésie de l’Antiquité, qu’effectivement il cite peu, il maîtrise parfaitement la française, de Villon à nos jours, dont il est un critique remarquable. Dans Le Devoir, à parution, Louis Cornellier indique à raison : « Daniel Guénette rédige, depuis 2019, un blogue dont le titre – Dédé blanc-bec – cache des trésors. » L’article consacre Le Complexe d’Orphée. Au cœur de l’essai, Daniel Guénette reprend à son compatriote, Robert Melançon, essayiste et poète québécois, l’idée que définir la poésie est une tâche impossible. « Elle recouvre des réalités si diverses, écrit Melançon, qu’on ne peut en proposer de définition sans qu’il soit possible d’opposer aussitôt à celle-ci un poème qui la contredit. » La poésie voisine le roman, le théâtre, l’essai. C’est donc un genre littéraire parmi d’autres, sauf que ses formes sont très diverses. « Il y a des poèmes narratifs, descriptifs, lyriques, didactiques, oratoires, philosophiques ; des poèmes en vers », et de toutes sortes de vers, réguliers ou libres, jusqu’au verset, en prose, voire des calligrammes qu’adoraient les Grecs, et dont Montaigne se moque. Si « maîtriser l’art de faire des vers est loin d’être facile », Daniel Guénette balaie le truisme de la poésie donnée pour un absolu. La poésie est « affaire de précision et non de préciosité ». Il récuse qu’elle soit « le mystère de toute chose ». Il rappelle qu’il n’existe pas de poésie hors du poème, en tout cas hors du langage. Il démolit la cuistrerie selon laquelle la poésie permettrait d’« habiter poétiquement le monde », comme si le roman permettrait de l’habiter romanesquement. Il inclut Bonnefoy dans ce reproche, toutefois sans acrimonie, non sans douter s’il a raison ou non, pour le concept fumeux de « présence augmentée ». Les poètes, y compris quelques grands, se laissent aller à des formules qui dépassent leur propre entendement, consigne-t-il à raison. Souvenons-nous de Hugo, entre autres.
Cet essai se lit aisément, car il se découpe en 23 chapitres brefs. Chacun porte un titre, comme un flambeau, pour mieux éclairer la réflexion. Daniel Guénette ne se contente pas de définir son objet ; un art poétique le parcourt. Il étaie sa recherche sur des poèmes, des poètes, des apports antérieurs sur le sujet. Parmi les essayistes, Boileau, puis Fénelon et enfin Caillois nourrissent sa pensée. Les trois affirment la nécessité de la clarté. Dans Les Impostures de la poésie [Gallimard, 1945], Caillois est limpide : « Il s’agit de dire ce que tout le monde éprouve, mais d’une façon dont personne ne l’ait encore fait et qui en même temps parle avec éloquence au cœur de chacun. » Il écrit encore : « Il y a grand danger d’exagérer la part de la licence dans l’œuvre d’art. » Guénette préconise à son tour que le texte « soit vraisemblable ». Concision, netteté d’expression renversent l’indicible, l’ineffable et le charabia moderne. Il évoque à la fin l’espérance de « s’élever à un certain degré de vérité ». Celle-ci rutile en cet essai plus que nécessaire, beau.
Pierre Perrin, note dans Possibles n° 34, décembre 2025
Daniel Guénette, La Châtaigneraie, éditions de la Grenouillère, Québec, 2022, 80 pages. « Quand il a pris sans plus jamais se retourner Les questions dernières portent sur le scepticisme, la postérité, le « constant souci de remblayer le vide », la paix possible. Daniel Guénette a le vers sûr, souvent proche de l’alexandrin, parfois très bref. Il sait restituer une vie, avec sa foudre, ses éclairs, et les moments de calme, voire de communion. La Châtaigneraie constitue un beau recueil presque filial. Pierre Perrin, 7 avril 2023, notelette parue dans Possibles n° 28 |