Jean Orizet, Les Aventures du regard
Jean-Pierre Huguet éditeur (Le Pré Battoir,
Saint-Julien-Molin-Molette — Loire)
Soit on pénètre une œuvre résolument jusqu’à l’orgasme et on savoure ses bonheurs en forme de cercle concentrique ; soit, pour mieux accompagner cette même œuvre, on la remonte jusqu’à sa source et la connaissance de son auteur, et c’est un autre bonheur. Jean Orizet a pris pignon de critique du côté de la tendresse. Il ne fore pas d’abord pour asseoir sa compréhension ; il étend sa caresse pour mieux pénétrer l’œuvre. Seul compte au terme l’intelligence partagée. Celle-ci ne manque jamais chez cet homme de pouvoir qui, connaissant presque tout et tous, fait preuve d’un rare œcuménisme poétique.
Le présent volume, au format de poche mais sur un fort papier qui plus est cousu, reprend sur quatre cents pages des articles écrits depuis 1984, notamment pour la Revue des Deux Mondes, Aventures du regard coiffe un discret hommage à l’essai de Michel Collot, L’Horizon fabuleux (ce dernier titre emprunté à Cadou). L’article paru à la sortie de l’essai est repris au cœur de cet ouvrage. La poésie que goûte Orizet s’y trouve circonscrite. Le langage ne peut être une fin en soi ; il est « le moyen d’une interprétation de soi et du monde ». C’est aller droit au but de la plus large exigence.
Il est ainsi donné à connaître, et à lire, près de quatre-vingt-dix poètes dont plus des trois quarts s’avèrent des contemporains vivants. C’est une petite bible de la poésie de la deuxième moitié du vingtième siècle. Elle a le double mérite d’actualiser les précédentes, dont celle angulaire de Sabatier, et de tenir en mains et chaud au cœur. La poésie a besoin de ces panoramas de poètes, dès lors qu’ils s’avèrent intelligents et sensibles. Ce volume dépasse l’horizon de La Sauvette >de Réda, chez Verdier en 1995, en ce qu’Orizet enregistre des poètes nés jusqu’en 1950, des hommes et des femmes. Ce sens de l’ouverture témoigne d’une attention et d’un courage assez rares pour être salués.
La langue est presque classique. Elle atteint à la perfection, sans la donner à voir. Cela s’appelle l’intelligence de la simplicité. Une parmi les plus belles de ces chroniques qui sont aussi des portraits sur le vif est consacrée aux Poésies complètes de Jacques Chessex. Ce dernier a lui-même publié Les Saintes Écritures, en 1985 à L’Âge d’Homme, pour la Suisse. L’esprit critique n’a pas de frontières. Orizet en tout cas, passeur fidèle à sa méthode toute d’empathie, explore la genèse du poète. « Le père meurt et le fils renaît au monde […]. Ce drame a façonné un homme, un écrivain. À l’expression élégiaque du début s’est ajoutée une voix… »
Il reste à souhaiter l’évidence : que la beauté soit toujours davantage partagée. À celle-ci, Jean Orizet a voué son existence. Il publie, en effet, outre ce volume, un Livre d’or de la poésie française, une anthologie de près de mille pages chez France Loisirs et, au Cherche Midi cette fois, Les Plus Beaux Sonnets de la langue française, une autre anthologie. Ce sont là 179 pièces, écrites du seizième au vingtième siècle, toutes « proches d’un bonheur de lecture absolu ». Grand voyageur, Orizet ? Il aborde à tous les livres avec un bonheur toujours recommencé.
Pierre Perrin, La Revue des deux mondes, mars 2000