Jeanne Orient, L’Accident de soi, roman, L’Harmattan, 2011 [120 pages, 12,50 €]

Jeanne Orient, L’Accident de soi
roman, éditions de L’Harmattan, 2011, 120 pages, 12,50 €

Dehors appelle ceux qui vous aiment et vous, vous restez « dedans », amaré à ce corps malade, à ce corps attache.
Jeanne Orient, L’Accident de soi, L’Harmattan, 2011

Jeanne OrientJeanne Orient apparaît à ceux qui la croisent, l’écoutent ou la lisent comme une femme d’élan, de conviction et de discrétion tout ensemble ! Son roman-témoignage, L’Accident de soi, est écrit comme elle parle. Et Jeanne parle comme elle écrit, à la perfection. Non pas sa confession, car sa narration ne contient rien de religieux et pourtant Jeanne Orient affirme une foi dans la vie, mais sa forte confidence est toute de saillies mêlées aux sentiments terribles de la perte de soi et de l’incompréhension des autres. Les autres n’aiment pas la maladie. Le cancer, par sa seule dénomination, horrifie et fait reculer le premier venu, comme s’il pouvait sauter du malade à la gorge de son interlocuteur. Jeanne Orient lève une barrière ; elle élucide une part de vécu qu’un silence pesant, chez le bien-portant qui d’instinct s’écarte, évacue le plus souvent.
Le ton qu’elle emploie, celui de sa parole tellement entraînante, est d’autant plus parfait qu’elle offre toutes les qualités de l’écrivain, tellement elle descend aussi en elle-même. Ce qu’elle rapporte c’est bien le secret, ce qui ne se dit pas, jamais, surtout dans le métier où « perdre une dent conduit à perdre son poste ». Elle écrit la stupeur de la révélation : un cancer ! Elle était belle et ne le sera plus, à ses propres yeux. Elle était la fête perpétuelle, plus gourmande de la vie que la meilleure gourmandise aussitôt croquée. Et elle se découvre mortelle, en sursis, à devoir « trier sa vie en urgence ». La qualité de sa voix lui fait rappeler que l’amour, c’est aussi d’être entendue, soutenue. La simple attention qu’attestent ces mots : « attends, j’arrive » féconde une merveille, quand tout vous abandonne.
« La première fois de tout chagrin est la pire », écrit-elle. Je crois cette remarque, à laquelle on ne pense jamais, d’une extrême justesse. Le témoignage de Jeanne, c’est le sein du chagrin, l’aréole en berne. C’est l’expression de la béance à jamais intégrée. Son témoignage fait penser à ces mutilés de guerre, à des gueules cassées. On se demande trop vite comment les malades vivent derrière leurs barbelés de souffrance et combien ils taisent leur angoisse, sachant que la vie les condamne. « Le cancer est un projet de vie séquentiel. » Mais Jeanne, qui a perdu un pan de sa vie, sait donner le change comme personne dans ce roman. Sa page sur les « trois formes de voyages à Venise » est une page d’anthologie. D’autres pages ne manquent pas où elle verse un trait d’humour acide qu’une rasade d’émotion vient bientôt apaiser.
Ce volume est poignant et beau comme une renaissance. L’Accident de soi réussit ce tour de force d’ « accrocher l’une à l’autre des onomatopées de souffrance jusqu’à en faire une grande conversation d’espoir ». Jeanne Orient a pleinement réussi sa traversée du miroir. Si, comme elle l’affirme encore, « dire c’est guérir un peu », ce témoignage pourra soutenir beaucoup d’hommes et de femmes frappés un jour par une longue et douloureuse maladie.

Pierre Perrin, 31 janvier 2019 [Le volume chez L’Hamattan]


Jeanne Orient, L’Accident de soi, avec le Docteur Planchon sur Pratis.TV

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