Le Voyage de midi de Roberto Mussapi, poèmes, traduits de l’italien par Jean-Yves Masson [l'Arpenteur]

Roberto Mussapi, Le Voyage de midi
poèmes, traduits de l’italien par Jean-Yves Masson, L’Arpenteur

Ce recueil de poèmes, traduits de l’italien par Jean-Yves Masson, s’ouvre par une longue préface d’Yves Bonnefoy qui, malgré sa complexité, se résume peut-être à ceci. C’est entendu, en premier lieu, la poésie est personnelle. Cependant tout individu n’en reste pas moins inscrit dans la société et l’Histoire, d’une part ; de l’autre, un poète se nourrit d’une culture de plus en plus sinon universelle du moins mondialiste. Ensuite, dans la mesure où le poète ici traduit est aussi un traducteur dans son propre pays, il se pose et résout force questions esthétiques. Le choix de Mussapi pour le poème qui tienne la distance, contre la mode du passe-lacet, enchante son préfacier. Ce choix élucidé, Bonnefoy loue encore l’angle d’attaque en direction du passé ; c’est celui « des vivants rencontrant leur mort ». À ce stade, au reste, il appert que l’amour seul peut conférer un sens à l’existence. Toutefois, à mieux y regarder (et c’est le quatrième point), que peut l’amour lui-même contre la mort ? Puisque rien ne résiste alors, la vie n’a donc pas de sens. Pourtant l’art oppose à cette évidence un démenti. L’art en effet crée de toutes pièces un sens qui nie la mort. En final, selon sa logique, Bonnefoy pose la question de l’inconscient. Peu de poètes, même parmi les surréalistes, lui accordent une place. Et il achève là sa réflexion, devant une œuvre « toute trempée d’inconscient ».

Ces poèmes, que traduit Jean-Yves Masson avec un talent certain, étonneront sans doute au premier abord le lecteur français. Le fait est que le poème articulé sur une sorte de récit, comme Apollinaire l’a pratiqué notamment dans “La Maison des morts”, passe aux yeux de beaucoup aujourd’hui pour une vieillerie, quand ce n’est pas un déni de poésie. Dans la mesure où de surcroît la langue ménage rarement la surprise d’un oxymore, d’une image neuve, le lecteur devra peut-être s’accoutumer au tour d’esprit qu’elle recèle toutefois. En tout cas, cela en vaut la peine. Car ces poèmes traitent, bien que dans une sorte de distance, de l’incommunicabilité entre les êtres, de l’absence au monde et à soi-même quelquefois. Il se trouve ici et là des notations limpides ; ainsi « souffrir c’est ne pas comprendre, / ne pas aimer ». La part la plus originale de Mussapi réside peut-être dans la saisie de la multiplicité des perceptions qu’un individu prend de soi-même en un instant. La série des SEUILS va dans ce sens et aussi, liés à l’appréhension de la mort, eux, les grands poèmes de la fin du volume. Il est à noter encore cet art poétique en creux que révèle la fin du “Cimetière des partisans” : Apprends à écrire comme on apprend / à se souvenir. Deviens homme. C’est indiquer ici ce que dévoilait en partie la préface de Bonnefoy. L’art est mémoire du futur. Il faut se détacher du monde, en même temps qu’on fait accéder ce dernier à une représentation autonome, par le fait de l’art. Il faut anticiper sa mort mais aussi et surtout savourer de tout son souffle son existence.

Roberto Mussapi mérite l’attention et, davantage, l’affection de ses lecteurs portés par Jean-Yves Masson. En cette fin de siècle, il apparaît de plus en plus que la modernité opère encore une révolution ; celle-ci rejoint pour une part peut-être celle de la Renaissance. Les modernes d’alors, les Du Bellay, les Ronsard préconisaient, contre une mode devenue endémique, le retour aux Anciens. C’est à sa façon ce que propose ce poète transalpin né en 1952, que la caution de Bonnefoy ancre dans l’avenir.

Pierre Perrin, La Nouvelle Revue française n° 552, janvier 2000

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