Michel Monnereau, Je suis passé parmi vous, La Table ronde, 2016

Michel Monnereau, Je suis passé parmi vous
éditions de La Table ronde, 2016, 136 pages, 14 €

couv. MonnereauAprès une bonne quinzaine de recueils parus chez des éditeurs de troisième ou seconde catégorie, en mettant à part ses ouvrages de poésie pour la jeunesse, très prisées chez Milan, voici Michel Monnereau à La Table ronde. Cet éditeur a publié précédemment trois romans de lui. Le prière d’insérer stipule que sa poésie est un murmure du temps qui passe et, en effet, le poète ne hausse jamais le ton. La centaine de poèmes que contient ce recueil n’excède pas la page, à l’exception d’un seul, pour un quatrain rejeté sur la suivante. Des cinq parties, non titrées (dommage pour le lecteur) qui structurent le volume, la centrale est tournée vers l’évocation des morts. C’est aussi la plus saisissante, dans sa discrétion.
  La poésie de Monnereau est sans prétention, comme le chantait Brassens ; elle est même simple. On imagine tous ceux qui se bouchent déjà les narines, feignant d’ignorer que la simplicité est le gage d’une réussite. Pas d’afféteries, ni de complications inutiles. Le vers est libre mais plein le plus souvent. Ou le poème est en prose, court. Une dizaine de lignes lui suffit pour établir une scène, voire un monde. Chaque poème ou presque s’éclaire d’une trouvaille, c’est-à-dire qu’une expression neuve, crée par lui, nous ravit à chaque page. Ainsi lit-on : « On dodeline du rêve. Un amour mal éteint sur le front de vivre. Le nœud coulant du temps. La vie et ses revers liftés. N’habite plus le corps indiqué. Le champ de l’oubli. Des rides jusque dans ses phrases. » On est dans les parages d’Yves Martin, lui aussi d’ailleurs à la Table ronde.
Le sujet du volume tient dans le titre d’un poème : que savons-nous de vivre ? La réponse qu’en donne Michel Monnereau, par-delà son titre, Je suis passé parmi vous, irrigue ces cent trente pages. Le volume ne suit pas cet ordre, mais à l’aube de l’existence, qui ne piaffe pas d’impatience ? Les amours nous tailladent comme écorce d’un arbre. On fait le beau, le sot, le mufle et le grand seigneur. « Être deux agrandit le présent. » Et puis, sans l’admettre une seconde, on perd son souffle, on dévisse et hop ! Il écrit « pour solder la nostalgie », par anticipation. C’est page 13. La fin consigne : « Ne pas tirer de phrases en direction / de la postérité. » C’est qu’il donne à prendre la mesure de ce temps que la vie nous accorde, ce temps que nous considérons si peu. Nous ne relions guère les grands instants qui façonnent notre « honneur d’être éphémère ». Nous vivons peut-être comme des somnambules, sans nous en rendre compte.
Pas de politique, ou très peu, même s’il sait faire surgir un « regard buté contre les injustices ». Tout au plus « les affiches battaient de l’âme dans le vent ». Et : « La qualité de l’indignation / dépend de l’objectif ».  Quand même il évoque le « poème philosophale », il se garde bien de nous accabler de ces injonctions dont certains nous soûlent. Bien sûr il y a une prière. Et une fois il note : « Ne guérissons jamais de vivre ». Qui lui en voudrait de ce cri si retenu qu’il vaut une caresse ? C’est donc un recueil rez-de-souffle, si on me pardonne ce néologisme, qui vaut un parfait habitacle pour l’âme des jours. Il sait bien qu’à camper comme il le fait des « instants infimes, détails sans intérêt économique », il atteint l’essentiel. Il est de ceux qui pourraient « terminer la phrase que la pudeur a tue ». Un beau recueil.

Pierre Perrin, 25 février, La Cause littéraire, le 18 mars 2016 [en tandem avec la note de Philippe Leuckx]

Suite de Possibles 9, Frédéric Tison —>

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