Jean-Pierre Lemaire,
L’Annonciade
poèmes, éditions Gallimard,
1997
vec ce cinquième recueil chez Gallimard, en quinze ans, Jean-Pierre Lemaire confirme sa place de poète catholique majeur. L’étiquette ne va pas sans péril. Sans tisonner le mot fameux de Gide sur Claudel : « il dévaste notre littérature à grands coups d’encensoir », il reste la lecture dans Lire Réda (aux PUF de Lyon) du poème Sur la difficulté d’un retour à Dieu quand on a trop pris le large, où Jean-Pierre Lemaire a extirpé peut-être un peu brutalement Réda de sa géniale ambiguïté.
Le poète cependant n’offre rien d’un militant. S’il interpelle Dieu (« Ô Père fou de montrer ton silence / à l’homme qui passe »), dès le second de ses soixante-treize poèmes répartis en sept parties, il s’ouvre à l’homme tout entier, sans œillères. En témoigne ce poème sans titre, intégral :
Repliant la lettre du laboratoire
l’homme qui a lu sa condamnation
s’enfonce dans les rues, porteur d’un sang lourd
incommunicable. Il tourne le dos
au soleil qu’il aimait depuis son enfance
et de rue en rue, le soleil le suit
comme un chien fidèle ou un dieu désolé
qui ne comprend pas mais demande pardon.
Le recueil entier est à cette image ; il allie la légèreté à la gravité ; la voix de Lemaire avec, en matière de rythme, une préférence pour des coulées de cinq syllabes, instille au lecteur une sorte de pureté. On s’évide soi-même. Cela tient peut-être à l’extrême économie de moyens, à l’épure que manifeste chaque poème. Quelques rares fois d’ailleurs, quand prime l’aphorisme, on reste en plan (les trois vers de la page 57). Cependant une petite faiblesse de cet ordre n’en rend l’auteur que plus attachant.
La parole donnée à Marie, simple femme, dans la partie centrale du recueil, les poèmes qui vont d’une dénonciation (de la guerre, le seul poème en prose du recueil) à une contemplation terrestre, en passant par de discrètes mais prégnantes évocations amoureuses, tout un mouvement aussi de composition personnelle font de ce recueil un enchantement, à l’image de l’avant dernier poème intitulé : LE BANQUET
Les acacias coupés ne donnent plus d’ombre
à la table en plein air de nos fiançailles.
On la voit demeurer sur l’assiette bleue
des convives défunts, tes parents heureux
de ton avenir, qui trinquent à mi-voix.
Dans les verres, le vin qu’avait choisi ton père
a vieilli de vingt ans.
Toi seule es debout
tu bouges, tu sers dans ta robe rouge
comme la Sagesse au banquet des hommes.
Pierre Perrin, La Bartavelle n° 7, 1997