Hasards de mer de Gérard Le Gouic, Le Temps des cerises, 2001

Gérard Le Gouic, Hasards de mer
éditions Le Temps des cerises, 2001

Ce recueil est constitué de cinq petites suites dont les deux premières cernent et concernent des îles. Ce poète est breton. Il fut un voisin très discret de Georges Perros dont les Papiers collés deviennent aujourd’hui, sous les plumes caudines des mieux informés parmi les paparazzi des Lettres, des “livres pour écrivains”. L’intelligence, le style et une réflexion sans borne devaient-ils donc rester confidentiels ? Le Gouic a des lecteurs, une œuvre accessible et il lit ses confrères, ce qui n’est pas courant. Nos paons ne peuvent tout à la fois arpenter les tréteaux où on soigne leur gésier et écrire au secret. Écrire est une activité monastique ; griffonner tout au plus, entre deux portables ! Ils publient sérieusement, en fait de travail – ne parlons pas de création –, des interviews ! L’imposture, c’est comme la gangrène ; si on ne la sectionne pas à temps, elle arase la corporation. L’admirable est que des Le Gouic ne lui concèdent rien, proposent une œuvre authentique et que cette revue en rende compte.

Le vers est court, la strophe aussi. La notation, parfois nominale, est toujours enlevée. Chaque bref ensemble – îlot de mots mais frémissants – tend une image ou un paradoxe, quand ce ne sont pas les deux à la fois. « On pratique ici / le silence // à couteaux tirés ». La poésie est dans la réunion de deux réalités antinomiques. Par exemple, Gérard Le Gouic, en sa quatrième séquence, convoque le « cadastre intime du pommier ». Il parle du pommier, il parle au pommier, et bientôt voilà que le pommier aussi prend la parole ; en fait l’arbre ici de papier ne profère aucun mot, mais on comprend sans peine que le poète parle à travers lui de sa condition propre. Ainsi le pommier émet-il « sur l’étendue blanche / du silence nocturne // le bourdonnement lancinant / de sa naissance / dans l’obsession du veilleur ». Vers sa saison haute, à l’approche du boutefeu de l’automne, le poème sent la pomme ; il en prend la verdeur, puis la chute. Dans cette exploration du cadastre aussi peu intime que possible en apparence seulement, les vraies questions fusent.

Qu’espérer
de la verticalité
si elle conduit
à nulle part ?

La deuxième séquence, traitant des îles, évoque le souhait du collectif. Qu’écrit Le Gouic ? « On ne concentre son espoir / que dans la liberté des siens. » C’est bien cela, le piège, qu’aucune politique ne veut écarter. “Son espoir, les siens”, ce ne sont là que des cercles concentriques à usage privé. L’égoïsme foncier, l’appétit carnassier constituent le fond de commerce des puissants qui, en validant des supercheries – la kyrielle des droits à sens unique, dont le bac à l’illetré –, se mettent à l’abri des remugles qu’ils dégagent pourtant. Qu’on relise donc Les Animaux malades de la peste. Pour n’offrir pas la densité, la radicalité sous le velours du bon La Fontaine, les poèmes de Le Gouic n’en orientent pas moins le regard vers des remarques qui caressent peu les gamineries d’usage. C’est beaucoup que de réjouir l’âme en lui ouvrant les yeux.

Pierre Perrin, Poésie1/Vagabondages n° 29, mars 2002

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