les Flibustiers de la Sonore de Michel Le Bris, éditions Flammarion, 1998

Michel Le Bris, Les Flibustiers de la Sonore
éditions Flammarion, 1998

Le flambeau de l’épopée repris par le roman d’aventure, voilà ce que réalise à sa manière ce fort volume. D’ailleurs, dans une note finale, l’auteur explique : « Écrire, c’est toujours peu ou prou parier sur l’éternité, et cette dimension d’éternité en nous » ; et de raconter « une légende, en somme ». Celle-ci couvre, à la suite de dizaines de personnages, environ une année de la ruée vers l’or de ressortissants Français, en Californie puis vers la Sonore, une province du Mexique. La première partie, qui compte cent quatre-vingts pages, entrecroise, pour la nuit du 29 octobre 1850, trois histoires qui convergent et embrasent l’action. Se mesurent, en solitaires et plus souvent en bande, des élus, des chefs désignés ou bien mafieux, force racaille organisée, de la pègre vaguement religieuse. Tous ces gens-là fomentent des coups aux intérêts pas toujours opposés, cependant que prédomine à grande échelle la trahison ; celle-ci se répand en effet à presque chaque détour tel un parfum de meurtre quelquefois collectif. Les héros de moindre importance se fondent dans la populace ; la pépie les saoule ; ils disparaissent comme des rats. La ville, de loin splendide, de près n’est que rapines, meurtres, boue, et l’incendie la parcourt presque à la façon d’une bénédiction. Le machiavélisme est derrière toutes les portes, et s’éclaire essentiellement un immense champ de foire politique. C’est que, mêlés par force aux américains de San Francisco depuis peu propriétaires et rattachés aux États de l’Union, ces français sont issus de la révolution de quarante-huit ; exilés rarement volontaires, déportés sans façons, tous cherchent, à défaut de l’or qui leur brûle la cervelle, à vivre.

La deuxième partie, Aux Portes du désert, avec ses deux cents pages ouvre le compas spatial, temporel et métaphysique. La vraie vie se dédouble ; à la frénésie, s’adjoint la rêverie ; l’amour creuse le temps, comme s’allonge une ombre dans le cœur. L’action n’en exulte pas moins et, pour le lecteur, se pressent d’indiscutables émotions. La troisième partie, au titre saint-simonien de La Ruche d’or, avec ses cent soixante pages, emporte son monde vers le sacrifice final, entrecoupé de victoires sans lendemain et de trahisons définitives. Le roman ne cache pas un arrière-fond de brume religieuse ; le manichéisme du paradis et de l’enfer est récurrent, qui en soutient d’autres. La dernière partie qui donne en six pages, mais pleines, son titre au livre confirme le poids de la réflexion : « Se pourrait-il que ce soit cela la vraie vie, cette présence aux choses, cette plénitude sereine, au cœur d’un monde lisse, sans plus d’ailleurs, de faille ni de mystère ? » Et le narrateur, Nicolas, dont on a suivi la trajectoire au fil des pages, de porter témoignage, obstinément, modestement, « dernier témoin, dernier lecteur peut-être d’une histoire oubliée ».

Cette histoire mérite l’attention que de nombreux lecteurs ne manqueront pas de lui porter. Le ton est celui d’une admiration, qui brûle comme la poudre, pour tout ce qui emporte l’individu, aussi bien en direction de la folie que du secret, avec une telle prédilection pour les cataclysmes que Michel Le Bris assimile ses héros à « ces “catastrophes naturelles” qui ne sont jamais que les voies par lesquelles la Création se manifeste ». Il est vrai qu’il n’est d’humanité qu’à trois dimensions : l’être, l’avoir et le néant. Quand l’être n’est qu’une torche en quête de rapt, la cendre est sa plus proche fortune. L’apocalypse est ainsi la respiration naturelle de ces pages. Du reste, les métaphores du volcan, de la foudre et de la lave mêlées, d’un cratère aux dimensions du Paci-fique roulent naturellement leur roulis de rumeurs qu’en dernière instance une amoureuse ou très aimée berce et retient, un instant, entre ses bras. C’est donc une voix de foule en marche, d’esprits égarés, de barricades encore fumantes, de chercheurs le plus souvent ivres morts, d’une discrétion de stentor, croisée de celle d’une amoureuse et d’une autre violée, qui emporte ces pages. — Continuer la lecture…

Pierre Perrin, La Nouvelle Revue française n° 548, janvier 1999

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