«Poésies complètes» de Roger Kowalski [Cherche Midi]

Roger Kowalski, Poésies complètes

Roger Kowalski, né en 1934 à Lyon où il a enseigné avant d’ouvrir une galerie d’art, est mort en 1975. Il a peu publié : six recueils de 1960 à 1968, qui transcendent lentement les influences presque revendiquées de la Tour du Pin, Perse et Gracq. L’ultime À l’oiseau, à la miséricorde fut posthume. Voici tous ces recueils, devenus introuvables, réunis en un volume de 400 pages. L’a voulu l’ami fidèle. François Montmaneix, qui écrit dans Vivants : « Mais à quoi bon attendre des réponses / qui ne vivront pas plus longtemps que nous », n’en tisonne que mieux l’attention. Il avait déjà créé le prix que soutient la ville de Lyon depuis 1984, décerné à Didier Pobel, Dominique Sampiero, Jean-Yves Masson…

Dépourvu de mercantiles appâts, offrande pure, le poème de Kowalski privilégie un décor et un climat qui fondraient en une goutte d’or mat Le Rivage des Syrtes, l’Anabase et Les Enfants de Septembre. Le poème de Kowalski est en effet délibérément tourné vers le passé. Celui qui l’habite s’y voit transporter dans un château d’où il ne sortirait que pour chasser ou se promener sur les terres. Il goûterait par-dessus tout la veille, la longue attente et, dans l’hiver, le gel, la neige. Il n’est pour lui d’histoire ni d’avenir ; la féerie le requiert. C’est qu’un arrêt résonne à perpétuité : « Tous les pays qui n’ont plus de légende / Seront condamnés à mourir de froid. » Et c’est pourquoi, à suivre les grands vols d’oies sauvages, on met soudain ses pas dans ceux du Grand Meaulnes, pour ne pas remonter aux romans de Chrétien de Troyes. Le poème en tout cas forme un cocon de rêve pour une geste de mémoire.

Le langage, en parfaite cohérence avec ce monde imaginaire, use des vocables d’autrefois. Aux termes de prédilection tels que mander, songe, dessein, demeure, croisée, face, feu froid, s’ajoutent des archaïsmes dans la construction syntaxique. « Il faut ne les point abandonner ». C’est un tour d’esprit, de force aussi. Les phrases brèves ou entrecoupées de points-virgules distillent des propositions aussi lumineuses que des proverbes.

La voix de Perse, prix Nobel 1960, irrigue les premiers ouvrages : « Comme une mer à l’ombre de ce temps, et c’est le royaume de la mémoire, l’ordre des grandes floraisons. » Ailleurs le recours aux vocatifs et aux superlatifs n’est pas rare. Cependant l’appropriation de la voix altière sert paradoxalement la conquête de l’intimité. À la précarité de l’existence qui obsède le poète, celui-ci oppose une multiplication des masques. Ariel, entre autres figures, l’aide à percevoir « le tendre toucher du temps ». L’avenir, semble dire Kowalski, épuise entre les mains la supplication à entretenir la mémoire.

C’est comme si toute espérance était en ruines, aussitôt formulée. — Continuer la lecture…

Pierre Perrin, La Nouvelle Revue française n° 557 – Avril 2001

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