Pierre-Albert Jourdan dans le Cahier dix au Temps qu’il fait éditeur

Pierre-Albert Jourdan, in Cahier dix
Le Temps qu’il fait éditeur, Cognac, 1996 (256 pages, 23 illustrations)

Le principe des cahiers, c’est la voix multiple. Écartés les poèmes en guise d’éloge, il est toujours instructif d’étudier les dissonances, la discorde à l’œuvre. Par exemple, plusieurs ne cachent pas que l’auteur manque encore de lecteurs ; ce sont parfois les mêmes qui vantent les vertus de discrétion du méconnu. De son vivant, il a surtout publié à compte d’auteur, alors que Char, Jaccottet et Bonnefoy furent ses amis, voire ses intimes. Cette discrétion est du reste un peu défrisée par la fille du poète qui, dans un texte d’une grande qualité, montre bien le revers de la médaille – et cela mérite plus que d’être lu, médité. L’écriture vole la vie… des autres.

Certains, cependant, malgré les deux volumes de plus de cinq cents pages parus au Mercure de France, ne connaissent peut-être pas Pierre-Albert Jourdan. Patrick Cloux, dans ce Cahier, le définit ainsi : « Il n’est pas à tout dire un poète, mais un homme en progrès. Plus proche du végétal que des pierres, du vent et de son tournoiement que des traces et des inscriptions latines, des sentences et des frontons taillés. Peu d’aphorismes chez lui, c’est une chance. Peu de poèmes au fond. Des inventions partielles, bien à lui, un souci du jardin, un réconfort visualisable, l’immédiat au bout des phrases, la langue haute et vive, sans trop de tournures. »

Un abîme sépare Pierre-Albert Jourdan de Georges Perros dont chaque page traite de la nature de l’homme, tandis que Jourdan contemple la nature – sans l’homme ; il fut un écrivain mineur de qualité. Toutefois je parle de ce cahier, parce que, outre le beau témoignage de sa fille, ce déploiement des fidèles, souvent subtils, telle l’analyse de Roger Munier, est touchant. Les deux pages que signe Gérard Martin, un bibliothécaire, sont significatives en ce qu’elles racontent comment ce lecteur n’a pu rencontrer son auteur qu’ « une seule fois ». Ce cahier est donc à lire, qui livre aussi une centaine de pages inédites de Pierre-Albert Jourdan.

Pierre Perrin, La Bartavelle, nouvelle série, n°5 [octobre 1996]

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