Bruno Lafourcade, L’Ivraie, éditions Léo Scheer, 324 pages, 21 €

Bruno Lafourcade, L’Ivraie
éditions Léo Scheer, 324 pages, 21 €

Lafourcade« Un livre publié, aujourd’hui, c’est un boomerang jeté et qui ne revient pas. » C’est dommage pour L’Ivraie, qui multiplie le plaisir de lire des trouvailles telles qu’un « quartier gris-ouvrier » ou un « cœur corné » et « les Grands Brûlés du plafonnier ». Roman baroque, pour âmes fortes, L’Ivraie développe une action essentiellement située dans un lycée professionnel de banlieue. Il démonte le rez-de-penser éducatif institutionnalisé. Il explore nombre de galeries de la taupinière sociale actuelle. Si des professeurs le lisent, ils riront jaune, pour peu qu’il leur reste de quoi rire. Leur institution mais aussi bien toute la société française y sont radiographiées. L’auteur met à jour des « zones de non-droit pour le sens ». Ce roman n’est pas à recommander aux moutons de Panurge.
Pourtant l’humour de Bruno Lafourcade s’avère féroce et tendre à la fois : « dans les boulangeries, on ne trouve plus un seul pain au chocolat qui ne soit pas halal » ! Il éclate dans la dénonciation du « langage transgénique » où « l’Histoire courait si vite que le Canular avait du mal à la rattraper ». Les rapports humains et sexuels sont étudiés au scalpel ; un médecin légiste n’irait pas plus loin. Rôle du travail, honnêteté, confiance, amour, véracité du discours, tout est pilonné, moins par l’auteur, si l’on ose écrire, que par l’ensemble de nos contemporains. L’auteur voit ce que nul ne veut entendre.
Quand il rapporte ce que Cervantès écrit de l’hermine, c’est autant la fable de L’Ivraie qu’on voit à l’œuvre : « Les naturalistes racontent que l’hermine est un petit animal qui a la peau d’une éclatante blancheur, et que les chasseurs emploient pour la prendre un artifice assuré. Quand ils connaissent les endroits où elle a coutume de passer, ils les ferment avec de la boue ; puis, la poussant devant eux, ils la dirigent sur ces endroits ; dès que l’hermine arrive auprès de la boue, elle s’arrête et se laisse prendre, plutôt que de passer dans la fange, plutôt que de souiller sa blancheur, qu’elle estime plus que la liberté et la vie. » Comprenne qui voudra.

Pierre Perrin, 12 janvier 2019


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