La Note grise de Patrick Guyon [/Jeanne Teillet]

Patrick Guyon, La Note grise, Jeanne Teillet
In octavo éditeur (Pau, 2002) et États provisoires du poème IV, coédition Langagières et Cheyne

Parmi les cinq contributions qui alimentent les États provisoires du poème IV, l’une est de Patrick Guyon qui a déjà publié une vingtaine de livres ; voilà le septième chez Cheyne. Avez-vous lu Le Livre des témoins ? Avez-vous lu Le Livre de la sortie du jour ? Ouvrez ces trésors : vous ne les lâcherez plus. Comment ? Vous ignoriez peut-être jusqu’au nom de ce poète ? Prix Malrieu, prix Kowalski, prix Georges Perros … Peu importe. Ces États juxtaposent des textes de Bancquart, Darras, Deguy, Jouffroy. Patrick Guyon y livre Josué sur les eaux, sous-titré Quelques notes adressées sur l’origine de la parole. D’emblée, Rousseau vient à l’esprit avec son Discours physique de la parole et son Essai sur l’origine des langues. Guyon est poète, dans l’altitude et la profondeur des Élégies de Rilke. Il parle haut ; l’usage en est passé. Dieu mort, les prophètes n’ont plus cours. Il écrit juste ; la morale est son affaire, ainsi que l’amour. Mais ce dernier, il ne le situe pas sous la ceinture. Qui prend donc sous son regard un des derniers poètes de l’élévation ?

Comme le sous-titre l’explicite, ces notes ordonnent une réflexion capitale. Elles éclairent les raisons de la poésie entière « qu’on présente comme un art », quand celle-ci, écrit Patrick Guyon, apparaît bien plutôt « une terreur et une folie », la parole même de la vie. « La langue, sans l’achever, accomplit l’acte de la vie humaine. » On le voit, l’entreprise n’a rien à voir avec un banal art poétique, mais détoure au burin le sens même de l’existence. « Je ne suis pas ce dont je viens », prévient le poète. La mémoire est toujours à venir, ou bien elle reste un leurre, l’ombre inversée du linceul ; or c’est le tombeau tout entier qu’il faut construire, œuvre de parole et d’amour mêlés. « Poème, ce n’est pas feindre ; poème, c’est naître. Et naître, c’est devenir mortel. Et être plus vivant, devenir plus mortel. » Nous voilà dans les parages de Jean-Baptiste Chassignet, à son sommet. Voilà en tout cas de quoi bien comprendre que Le Livre de la sortie du jour célèbre la vie, tant il est vrai que « nous, les humains, sommes le contraire précisément de cette chimère qui nous habite (par quoi nous mesurons que nous ne sommes pas). »

Complexe est l’innommable, qui seul motive le poète. Qu’est-ce qu’un artiste qui ne tenterait pas l’impossible ? Que vaut un homme qui ne fixerait pas à son désir la barre de l’absolu ? Lire Guyon n’est pas une sinécure. Il exige, il bouscule, il appelle, il vous prend par la voix. Mais, sauf à refuser la beauté, y compris celle-là même de la langue, quand le poète « déboise le silence » par exemple, on ne peut plus se détourner de cette lumière qu’il nous tend. « Le langage et l’amour, disions-nous : les deux chemins capables de répondre à la douleur de la naissance. Ou un seul cependant, comme fait un corps uni aux anneaux d’un serpent. Toujours ce sera croire recommencer avant la chute. » Ou peut-être préférerez-vous cette vérité-là : « On entre en terre humaine en laissant derrière soi un homme aux bras levés qui ne passe pas le fleuve. » —  Continuer la lecture…

Pierre Perrin, Poésie1/Vagabondages n° 32, décembre 2002
et Le Nouveau Recueil, n° 67 [Juin-août 2003]

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