Christian Ghiotti, Chroniques de l’antépénultième, La Lucarne des écrivains, 146 pages, 14,90 €

Christian Ghiotti, Chroniques de l’antépénultième
éditions La Lucarne des écrivains, 146 pages, 14,90 €

C’est un très curieux recueil. Dans sa présentation, d’abord, il est illustré presque à chaque page, ne fût-ce que d’une sorte de branche, ou de fleur. Les titres, en forts caractères, sont soulignés d’une sinusoïdale. On croirait un livre à l’adresse des jeunes. Les vers sont de toutes sortes, presque tous irréguliers, et surtout un tiers très courts. Un éclat de vers appellerait-il un poème brisé ? On trouve cependant trois sonnets, quelques calligrammes, des laisses entières pleines de souffle. Par-delà ces variations de rythme, sept parties composent ce recueil qui atteste un regard pluriel sur le monde. L’enfance est tenue dans l’ombre, mais l’auteur se souvient « des bouches qui hurlaient dans les rues aveugles ». Puis l’amour s’exprime avec délicatesse. ‘Fantaisie’ figure une réussite ; ‘le souvenir’, aussi, bien d’autres. « La douce main qu’il avait serrée vaguement avait la fraîcheur d’une giboulée. » Christian Ghiotti sait et redit « le temps du plaisir / toujours trop court ». Le charme de l’ensemble tient dans les convictions de l’auteur, que rien ne dure ; l’oubli nous est promis. Il le dit en filigrane partout, dans la jeunesse, dans l’amour, dans ce monde qui nous est échu. Il sait évoquer « le silence de sarcophage / d’une jeune femme d’il y a longtemps ». Pourtant « j’ai rué dans ton corps et dans ta vie / gardé la douceur de tes cuisses » etc. Mais voilà, « les grands monstres qui s’activent / sont si pareils à nous […] humains / soleils de glace noire ». Bref, tout un monde se déploie, sans crier gare. C’est le nôtre, à tous, tant que nous sommes. Comment ne pas emboîter le pas de ce poète ? « Il faudrait que l’herbe / coupante des champs amers craque sous mes pieds nus / Ma veste gonflée au vent, mes lèvres mordues, sanglantes / d’un autre désir singulier. Il faudrait tant d’années de / moins sur mes épaules. Et toute ma tête, toute ma tête, / libre des souvenirs qui s’en vont, qui s’en iront. » Retenons ce recueil près de notre main.

Pierre Perrin, 26 octobre 2024 [à paraître dans Possibles n° 35, mars 2025]

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