“Jean Follain – Un monde peuplé d’attente” par Jean-Yves Debreuille, éditions Autres Temps, 1995

Jean Follain – Un monde peuplé d’attente
par Jean-Yves Debreuille, éditions Autres Temps, 1995

Cette étude critique de 214 pages est admirable et consacre son auteur : un maître à l’égal de Georges Mounin autrefois. Constitué de cinq parties qui se font discrètement écho, ce livre non seulement éclaire d’une façon décisive le poète d’Exister, dans son cheminement d’écriture et de progression intérieure, mais encore enrichit le lecteur au-delà de la lecture même du poète. En effet, la technique, le travail d’écriture de Jean Follain, est ici mise à nu dans une absolue clarté, sans tics de langage et sans qu’un seul mot puisse être jamais pris en défaut ; ce minimum vital n’est pas si fréquent ; mais, en outre, Jean-Yves Debreuille, grâce à l’intensité de sa vaste lecture de la poésie contemporaine (qu’on peut vérifier à reprendre ses précédents ouvrages, d’Éluard à Frénaud en passant par la somme peut-être un peu trop généreuse qu’il a donnée avec L’École de Rochefort, parue en 1988), atteint plus que la cible de son sujet car, à partir d’elle et sans le quitter jamais des yeux, il rayonne : il parle de poésie et toute la métaphysique vous emplit le cœur. Ce qu’il dit de son poète vaut pour lui tout autant : « Il n’invente pas, il rend visible » ; ou bien : « un événement infime soudain crée l’accord de l’ensemble, tout entre en symphonie, et le “silence prend une ampleur d’orgue” ». L’écriture du critique a atteint la maturité. Ce livre est une corne d’abondance.

Tout d’abord la composition générale est déjà un délice. Car le livre s’ouvre sur une mise en situation de Jean Follain. En une quarantaine de pages d’une subtile simplicité, Jean-Yves Debreuille restitue l’homme dans son époque, le dépouille en douceur de sa légende, cette patine qui ternit l’exacte vérité, en dresse un portrait tel qu’il le ressuscite – et l’on a presque envie de toucher, en effet – avant de dévoiler, dès la deuxième partie, « le message important d’une écriture modeste ».

Cette deuxième partie propose (sur près de cent pages) force poèmes, le plus souvent cités en entiers, et quelques extraits de prose, à partir desquels Jean-Yves Debreuille construit sans hâte, avec d’imperceptibles battements d’aigle, ce qu’on peut appeler peut-être la poétique de Jean Follain : quelle place, à partir du poème, il donne à l’homme dans l’univers. « Partant du détail, de l’anecdotique, la poésie de Jean Follain ne vise rien moins que la totalité. Ce qu’elle entend donner à respirer, c’est “la seule odeur nue / de la métaphysique”. C’est pourquoi le “je” en est tellement absent ». Et Jean-Yves Debreuille de poursuivre bientôt : « La vertu du poème, c’est de donner à vivre ce qu’il a d’abord donné à voir, de ne pas se borner à dire le monde, mais de le faire vivre dans la fraîcheur et le frémissement de la représentation neuve et cependant ordonnée qu’il en propose. » La place de l’homme ? On ne peut résumer ; voici pourtant une piste suivie par Jean-Yves Debreuille : « Le monde est constitué de morts qui se côtoient mais s’ignorent, car chaque vie s’entretient de l’illusoire conviction de sa pérennité ».

La troisième partie de l’ouvrage entraîne le lecteur « dans l’atelier du poète », parce que « Jean Follain est un poète de la maturation ». Jean-Yves Debreuille décortique les onze états successifs que révèlent cinq versions dactylographiées du poème « Promeneur » paru dans Territoires. « Follain travaille comme un peintre, aussi longuement, aussi minutieusement, et l’objet définitif, loin d’être le résultat hasardeux d’un premier jet, est le miracle d’un équilibre longuement cherché. […] Une sensation – souvent chez Follain le choc d’un événement – a déclenché l’écriture ». Au terme de ces dix-huit pages, il conclut : « Le poème, comme le tableau, est le lieu miraculeux où se rencontrent comme par nécessité des éléments arrachés pour l’éternité à la contingence de leurs trajectoires. »

Les documents ensuite, photographies d’époque, dessins et manuscrits du poète, sans oublier la riche bio-bibliographie qui constitue la cinquième et dernière partie, achèvent de donner l’envie de relire Follain. C’est peu dire que le critique a parfaitement travaillé, car son propre style est tel – il parle par exemple de « l’aliment premier dont la couleur est celle du suaire » – qu’on relit bien vite cette magistrale étude, pour le plaisir. Comme l’écrit encore Jean-Yves Debreuille : « C’est la force du mythe de parler simultanément aux sens et à l’intelligence, et de dire la totalité à partir du particulier »... Dans le cercle restreint de la critique, Jean-Yves Debreuille prend la relève des plus grands.

Pierre Perrin, La Bartavelle n° 5, octobre 1996

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