François de Cornière, Nageur du petit matin, Le Castor astral, 2015 [170 pages, 13 €]

François de Cornière, Nageur du petit matin
éditions du Castor astral, 2015 [170 pages, 13 €]

couv. de Cornière« Mon projet, s’il en est un, a été de fixer des moments de bonheur, de souffrance, de doute, de peur, d’amour, à côté de celle qui était ma femme et que j’ai accompagnée (mais elle aussi m’accompagnait) pendant dix ans, dans ce qu’on appelle une “longue maladie” », écrit François de Cornière sur la 4ème de couverture de son recueil qu’on appelait autrefois “un prière d’insérer”. Rien n’est plus délicat à accomplir. Il continue en évoquant une “vie ordinaire”, c’est-à-dire la poésie de Georges Perros. Il termine en précisant que ses poèmes « sont parfois proches de la note, du croquis, du récit ». Pourtant, malgré ces indications, il est très difficile de “juger” – car c’est le rôle de la critique, le reste est publicité – ce volume.

De François de Cornière, poète, force est de démêler le talent et les limites. Ces dernières tiennent en peu de mots, assénés par Pierre Jourde dans La Littérature sans estomac, Esprit des péninsules, 2002. Il ne fait pas de la poésie, il fait poétique. Comment ? C’est très simple, au premier degré. Chaque poème est constitué de vers courts, au vocabulaire prosaïque, d’où toute image est bannie, ou peu s’en faut – et qui cependant narre un instant, une pensée, un sentiment. Le ton de Cornière est patent. Il est d’ailleurs épatant. C’est la voix d’un homme simple, dans une vie simple, ici un nageur du petit matin qui insuffle un discret désarroi face à la lutte de sa femme contre la longue maladie qui l’emporte. Irrémédiablement. Non, il ne se permet plus ces chutes, faciles, d’autrefois. Mais il conserve le sens et le goût de la ritournelle. Par exemple, page 46 : « c’est sur soi qu’on revient. // sur soi qu’on revient. » Plusieurs poèmes, d’ailleurs, ne s’intitulent-ils pas chanson ? Côté limites encore, pour crever l’abcès, c’est d’une insoutenable légèreté. Pas un poème, a priori, qu’on puisse épingler pour une anthologie, détacher de l’ensemble ; à quoi raccrocher la mémoire ? Une chambre à oxygène, si j’ose. 

Mais là se lève le talent de François de Cornière. Car, fort de cette simplicité, il peut écrire d’entrée, « au présent de tous les temps ». Il fait glisser le lecteur sur des années d’existence et d’amour partagé sans que celui-ci puisse, un seul instant le contester, ni lâcher le fil de cette terrible histoire qui nous menace tous. Il crée une empathie, suscite l’émotion, tire des larmes à plusieurs reprises. Ainsi au milieu du livre, le poème “garder ta montre” installe la malade [« ton dos / calé par un traversin »], et le mari dans le fauteuil [une image ici : « de mon rivage en skaï / j’entendais les mouettes »]. La fin : « Je pensais à notre mer à nous / au petit port breton / où je te conduirais / où nous irions nager / une dernière fois ensemble. // J’étais peu en avance / sur ma mémoire – tu sais. // Toi tu voulais / jusqu’à la fin garder / garder ta montre / à ton poignet. » Cette délicatesse, cet art du pastel en poésie, cet effleurement d’une âme, sans soufflerie ni trompette, au contraire cette capacité à retenir l’écume de vivre mérite la lecture – et le partage qui s’ensuit.

Pierre Perrin, note du 14 novembre parue dans La Cause littéraire, le 2 décembre 2015

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