Le recours au Mythe de Louis-Combet [éd. Corti, 1999]

C. Louis-Combet, Le recours au Mythe
éditions José Corti, 1999

L’auteur mêle ici l’autobiographie et l’essai. Des pages de récit relatent l’enfance, l’adolescence et les années de formation. Deux femmes enflamment et écrasent l’imaginaire de l’enfant ; la grand’mère, à qui il attribue force qualités, par des superstitions ; sa propre mère, par l’exercice de ce qu’il appelle le péché. Cette dernière portait, à Lyon, les jupes les plus courtes de l’année 1944, écrit-il. Une sœur monte rarement au fil des pages, à l’exception du cœur du livre qui chante un instant d’un chant aussi beau que celui de Blesse, ronce noire [Corti, 1995]. C’est néanmoins la mère qui reste convoitée. Puis défilent des présences de prêtres, enfin celle d’un professeur de philosophie à Lyon, qui demeure telle une embellie au ciel de ces années noires par quelque côté qu’on les prenne. Rousseau n’est pas loin ; l’émotion sans larme a droit de cité ; la poésie, telle une mèche dans la lampe, plus d’une fois lève les pages qui brasillent. Si la première des six parties qui divisent ce livre exige une importante adaptation du lecteur, à cause d’une hésitation de l’auteur devant le choix de la première ou de la troisième personne, l’effort concédé est vite comblé, le ravissement, au cœur du livre, absolu pour la trentaine de pages qui ressuscitent le temps et les lieux de la prime enfance. L’avant-dernière partie est, au contraire, décevante ; elle s’égare en des redites ; ce ne serait pas un crime, si l’alcool métaphorique dans le même temps ne perdait plusieurs degrés. L’essentiel est cependant ailleurs.

Cette œuvre, qui se substitue à la prière par la faute de la foi perdue, sacralise l’expérience intérieure. Elle magnifie la clôture, l’écoute du silence et la prolifération du secret. L’autiste, tout à ses mots tus, devient intarissable, tandis que le déni d’audience hautainement affiché s’avère un préalable. C’est en effet une séduction sans retour que le texte veut exercer sur le lecteur. Celui qui se détourne est perdu pour l’auteur ; mais celui qui s’engage d’un œil, d’un ravissement bientôt, enfin par tout le corps, est perdu pour toujours. La reddition sans condition est le mobile de cette œuvre, qui encourage le martyre. Claude Louis-Combet l’écrit : « Il y a eu nécessité pour moi de porter à son plus haut degré possible d’expression culturelle, et donc universelle, tout un héritage d’acceptation de la souffrance, de passivité devant le destin, de retirement de la vie, de culte parfaitement intériorisé de la vie culturelle. » En d’autres termes, il ne s’agit pas de changer la vie. Toute métamorphose réduite à la métastase, la mort, dont il parle peu, s’avère une bénédiction. Son idéal est de l’ordre des catacombes. […]. Ceux qui veulent rester lucides, par-delà la beauté de la langue aux consonances souvent classiques, garderont la distance du témoignage. Ils liront comment ont mal vécu des ancêtres plus ou moins proches que le péché a terrorisés et fascinés à la fois. Alors s’exercera pleinement la dilection. Car cet anachorète en écriture conjoint l’évidence et le secret, le mystère ébloui et l’illumination de la ténèbre intérieure ; il entretisse le vécu à figure de mythe, le savoir immémorial et l’oubli toujours plus fécond. De l’abîme de toute voix, il fait entendre la voix de l’abîme. Cependant le lecteur suprême qu’attend Claude Louis-Combet, c’est Dieu lui-même, tellement le creux laissé par son absence, à chaque page, attend d’être comblé : « J’écris pour toi. Afin que tu sois. »

Pierre Perrin, Autre Sud, n° 5 – Juin 1999

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