Un octogénaire plantait de Pierre Chabert

Pierre Chabert, Un octogénaire plantait
Librairie-galerie Racine, 1998

Le recueil qualifié de divertissement par son auteur et dédié naturellement à Jean de la Fontaine est tout sauf attendu. C’est un régal.

D’une lucidité rare, doté d’un sens particulièrement affûté de l’ironie, l’auteur sort de sa retraite pour rentrer en « résistance offensive / ce qui demande énormément / de ruse ». Mais l’auteur dont, à défaut de trouver en poche Les Sales Bêtes, on peut relire un très beau portrait par Jean Breton dans le n° 9-10 de la revue Les Hommes sans Épaules paru en juillet 1993, regorge de ces ruses à faire fendre les rochers. L’âge ne fait rien à l’affaire, à moins qu’il n’offre un ultime détonateur. La férocité tendre de Chabert en tout cas reste entière. Ici, grabataire de service ô combien facétieux, il défie la mort. C’est bien elle aussi et seule qu’il plante désormais. L’humour est d’autant plus terrible que planter, ainsi que la fable le précise, n’est pas semer. En virée à Paris, farci de recommandations (“oublie pas le code”), le voici qui se met à crier, un hurlement, et d’écrire : « descartes ne criait pas / ainsi ».

Le vers est court mais vif comme un jet d’os. La mort dévisagée fait se battre les flancs, l’occiput. Chabert a beau noter : « que peut-il dire / sinon ironiser sur son alzheimer / […] / amuser la galerie des jouvenceaux », en fait il décape, tombe jusqu’à sa peau, donne sa mœlle :

je demande une dose de
litote
oh les anges cela
ne passe pas

Le secret est lumineux. C’est un hymne volontairement sec que Chabert, tout bec et ongles, r’adresse à la vie :

je n’y croyais pas, mais je la désire
je la poursuis
au centre de cette saga, la chaleur
“humaine”

Et cela donne encore de ces vers :

la mort dans votre lit
vous bronze, vous fait
craquer
de vie, évidemment, de vie en
expansion, elle vous choie, vous
caresse, vous colle
à la peau, oh la mort avec son
bronzage, ses épaisses
tranches, lèvres, jointures
oh les attaches de la
pourtant mort qui vous
colle à la vie

Il ne manque pas de préciser son néant, tout poète vivant qu’il reste. Ces cinquante pages dérangent, c’est bien le moins. Elles donnent à regarder la mort au bout d’une pince. Elle gigote, elle n’est rien. Chabert l’écrit encore : « la raison / c’est d’accepter / la déraison ».

Pierre Perrin, Poésie1/Vagabondages n° 19 – Sept 1999

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