Pierre Perrin  article sur Guy Bellay Les Charpentières [le dé bleu]

Guy Bellay, Les Charpentières
Le Dé bleu, 2003

Ce recueil anthologique reprend les quatre ouvrages qu’a publiés Guy Bellay. Nantais, né en 1932, il fut l’ami de Georges Mounin. L’émotion a été, pour tous deux, le moteur de la poésie. « Ce n’est pas écrire qui est désespérant, c’est le vide entre deux émotions. » Quelques-unes atteignent à la rondeur du poing et touchent au cœur. D’autres s’étiolent en chemin. La raison tient sans doute à la puissance du verbe mis en œuvre. Guy Bellay est un économe. La cathédrale n’est pas son ambition. Pourtant il ne s’interdit pas toujours les longues phrases. Et l’économie trahit parfois une réflexion un peu courte. Miser sur l’élection d’un président de la république « pour que nul ne revienne jamais plus en arrière » laisse pantois. L’histoire est l’œuvre des hommes ; elle réserve à la naïveté ses verrous.

La poésie de même est sans appel. Elle est pareille aux icebergs. Le verbe tire sa force de la profondeur de la pensée qui le sous-tend. La vision du monde d’un auteur, c’est cela. Guy Bellay, dans le sillage de Mounin, admirait Char. L’auteur de Fureur et mystère ne s’égale pas aisément. Convictions, vaticinations, caresses de pythies, faits de guerre, chez lui, sonnent le glas ou la victoire. De même que le glas ne concerne que les vivants, c’est ces derniers que Char dévisage. Guy Bellay reste intime. Mounin adorait cette expression. Il a convoqué souvent sous sa plume cette notion de « journal intime d’une génération ». La poésie peut-elle s’en contenter, c’est toute la question.

La critique exige de livrer le résultat de sa lecture. L’exactitude est devenu un crime de lèse-différence. Mais la critique, à se résigner à l’hypocrisie, a tout à perdre. L’éloge ne se conçoit bien sans l’ombre qui l’abrite. J’ai naguère aimé le poème de Bellay : l’amoureuse. « Aussi mystérieuse en sa blancheur qu’une bête en son pelage, elle attend l’effrayant plaisir. La douceur de ses seins ne la protège plus. » Cette deuxième phrase pourrait être de Char. « Pour qu’il ne regarde que ses yeux, elle les fait radieux, suppliant qu’elle ne soit pas une vision tenue à bout de hanches. // Elle a tant fait pour être présente et que le malheur soit comblé. // Elle se renverse dans son double comme une pelletée de terre dans un fossé. » à une telle image, j’achoppe, je ne peux pas adhérer. Le plaisir, à ma connaissance, échappe à une telle approche. « La ville peut refermer son dos sur eux. Elle sortira par les guichets du petit matin, la peau à vif couverte jusqu’au menton. »

La distance tient au regard porté sur la femme. Assimilée à une bête, la femme pêche par toute l’attitude qui lui est prêtée (défiance, supplication, martyre). L’expérience qui a suscité ce poème est sans doute véridique. Mais elle semble si éloignée qu’elle ne se partage pas facilement. Il reste que cette distance imposée par les années n’enlève rien à l’authenticité de Guy Bellay. L’honnêteté de l’artisan n’est pas en cause. Il y a dans ce recueil une découverte de l’existence, un rapport au père, à la mère, à l’enfant qui satisfont certainement de jeunes lecteurs. C’est du reste pourquoi je témoigne de la publication de ce volume, en laissant à chacun le soin de former sa propre opinion.

Pierre Perrin, Poésie 1/Vagabondages n° 35 – juin 2003

Préface de Georges Mounin à La Liberté c’est dehors
et Pour vivre un poème in Possibles n° 1

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