Anthologie des poètes baroques en France, Jean Serroy, Imprimerie nationale [NRF, 2000]

Poètes français de l’âge baroque
anthologie (1571–1677), par Jean Serroy, Imprimerie nationale.
[Deuxième partie]

Si les chefs-d’œuvre s’avèrent peu nombreux, rares sont les pages qui ne réservent aucun bonheur. Jean Rousset avait prévenu qu’on trouverait plus souvent « d’efforts vers l’œuvre plutôt que d’œuvres accomplies ». Cependant l’esprit est vif. Le mouvement à l’honneur explose d’antithèses, de paradoxes, à côté de très simples considérations. Et puisqu’il s’agit de saisir l’air du temps plus que toute autre qualité, on trouvera chez ces poètes une large approche de l’amour. L’époque cultivait le trivial dessous les vues éthérées. Joachim Bernier de la Brousse, « Phénix des amants », démonte la folie de « Bien garder une serrure / Dont chacun porte la clef ». Honoré d’Urfé relève : « Le plus souvent ces tant discrètes / Qui vont nos amours méprisant / Ont au cœur un feu plus cuisant. » Le regard porté sur la « constante inconstance » fait voir à un gouverneur d’Ornans « que d’un vieux gant les Dames de Paris / Font des godemichés, à défaut de maris ». Scarron enfin note simplement que « c’est chose commune / De voir converser sans rancune / Les galants avec les cocus ». Voilà qui contraste avec les plaintes de l’amour triste. On accuse la puissance qui rend misérable. On se complaît au martyre. On déifie l’objet jusqu’au délire le plus froid, pour mieux l’assassiner. Malherbe, dans un poème de jeunesse, note ainsi :

Tes beaux yeux d’où l’amour épuisait mille dards,
Mille traits, mille feux et mille attraits mignards,
Pour poindre tout d’un coup, blesser, brûler, attraire
Celui qui, fou, osait attendre leur lumière,
Desséchés sous la lame, au lieu de leur splendeur
Sont ore enveloppés d’une sale noirceur
.

Le vers 4 ne doit pas qu’à son rythme ternaire sa beauté : « Celui qui, fou, osait attendre leur lumière. » Sa simplicité souligne le baroque du jeune poète, prolixe en hyperboles. Les coups de ciseaux chez les autres ont stigmatisé des erreurs qu’il avait d’abord commises, telle ici peut-être la « sale noirceur ». En d’autres pages, on relève encore l’ombre de Pétrarque. Il n’y a pas moins de quatre sonnets très proches du fameux Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie de Louise Labé. Celui d’Étienne Durand, qui s’en éloigne, mérite plus que de l’attention :

Geler dedans les feux, et brûler dans la glace,
Ne pouvoir à mes yeux accorder le sommeil,
Vivre de désespoir attendant le cercueil,
Effroyable porter la mort dessus ma face ;

La suite confirme, par-delà le modèle obligé, la présence d’un ton. Il faut aller le trouver. On ne manquera pas d’autres tours de force, tel celui-ci : « La soif me cuit dans l’eau, et ne puis l’étancher. » On s’étonnera peut-être davantage d’un goût prononcé pour la caricature assassine à l’adresse de certaines femmes : « Vous passez soixante ans, faux fourreau de hautbois » écrit gentiment un Charles-Timoléon de Sigogne (quelques noms à eux seuls sont déjà un régal). Les poètes d’alors se moquaient des bissacs et autres tétins mous et culs plats, sans vergogne. C’est le charme de l’anthologie de passer ainsi de l’Éther à l’Enfer, du grotesque au sublime.

Après l’amour, la mort occupe la plus grande place. L’approche est multiple. La mort est un passage. Elle s’avère féconde. Elle promet une naissance. Elle peut même être un leurre quelquefois. D’Aubigné, sur ce point, n’est pas en reste d’intelligence. Il note comme Montaigne :

L’air, qui prend de nouveau toujours de nouveaux corps,
Pour loger les derniers met les premiers dehors
.

C’est dans Les Tragiques où il ajoute peu après que « le changement ne sera la fin nôtre, / Il nous change en nous-même et non point en un autre, / Il cherche son état, fin de son action ». André Mage de Fiefmelin écrit, lui : « Je ne suis rien qu’un mort qui, vif entre les morts, / Meurs entre les vivants. » Jean de Sponde enfin : « moitié de la vie est moitié du décès » ; six ans plus tard, Chassignet se fait plus clair encore : — Continuer la lecture…

Pierre Perrin, La Nouvelle Revue française n° 553, Mars 2000


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