Charles Kenneth Williams, Anthologie personnelle (Actes Sud, 2001)

C. K. Williams, Anthologie personnelle
poèmes, Actes Sud, 2001 [suite et fin]

Il y a dans cette œuvre un rapport à la seconde guerre mondiale, à l’Holocauste, aux bourreaux et aux victimes, qui devrait étonner puisque l’auteur est né en 1936 aux États-Unis ; or il n’en est rien. C’est que réfléchissant sur « ce qu’on commet au nom de Dieu », dont un tête à tête entre un rabbin et un SS qui « bat la semelle en pensant : Tue-le ! Finis-en ! », tandis qu’une autre fois « on aurait cru des amants », Charles Kenneth Williams s’investit tout entier. « Tout ce qui parle en notre âme se retourne contre nous. » Et aussi bien : « Nous sommes prêts à tout / pour ignorer notre glas silencieux dans la bouche de la mort. » Comme le moi ne l’éjecte pas de ses parenthèses, il remonte son enfance, son adolescence au gré de ses nécessités. Car « les structures morales ne sont que du vent si on ne les ancre pas dans des événements réels. » À le lire, on entre de plain pied dans une existence, avec ses ratés, ses hontes à côté d’éblouissements certains. Comment ne pas vibrer à des convictions telles que « notre seul réconfort est l’amour » et « la rédemption est dans la vie ». Car si la transcendance relève sans doute du leurre, l’âme n’en existe pas moins. Un mort est porté en terre ; cesse-t-il pour autant de parler à ceux qui l’aiment ? De la sorte accessible, est-il irrémédiablement mort ? « Quelque chose en nous se perpétue […] / comme une maison vide incarne des présences élémentaires et comme, attentifs, nous pouvons les sentir. »

De même que la fonction de l’image est de convaincre le lecteur, l’admirable est que Williams n’hésite pas à consigner ce pacte d’affection que nous devons à ceux qui nous ont précédés. C’est pourquoi les poèmes les plus nourris, les plus forts aussi que compte cette Anthologie personnelle, ressortent naturellement de l’élégie. Ils accompagnent des disparitions. Mais pour offrir une sorte de survie à ceux qui sont partis, le poète n’exerce aucun chantage. La meilleure preuve est qu’il aborde sans détour la question de l’euthanasie. « Dès que le vieux comprit qu’il était en train de mourir […] / mais comment faire si on ne l’aidait pas ? » Les enfants reculent ; lui plaisante et il leur fait promettre la cruelle assistance. Quand toutefois le jour et l’heure se rapprochent à éclater – il faut lire et relire ce poème terrible de vérité. La grande poésie ne joue pas ; les mots ne sont pas des osselets ; elle fait accéder à la lumière.

Il y a enfin dans ce livre essentiel une série de poèmes sur la jalousie et plus largement sur l’incommunicabilité entre les êtres qui sont des joyaux, par-delà les célébrations de l’amour, de la fête des corps à l’endosmose des cœurs. Tout fait miel, depuis l’odeur des roses que Saadi a tant chantée, « dont la sérénité me soulève et m’enveloppe », jusqu’à la méditation sans retour sur le pardon et la réparation. La grandeur de Charles Kenneth Williams est d’ensemencer le champ d’une pensée que le lecteur possède en soi, mais en jachère. Le lire, c’est grandir. C’est aujourd’hui le poète à offrir autour de soi, sans plus attendre, sous les étoiles.

Pierre Perrin, la Nouvelle Revue Française, n° 554 – juin 2000

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